Rien ne justifie les meurtres de juifs commis ces dernières années en France, mais il y a comme une mauvaise foi de les rappeler en ce moment précis pour en faire le prétexte d’une entreprise porteuse de dangers infiniment plus dévastateurs : expurger le Coran de certains de ses versets, comme le demandent 300 personnalités qui ont signé un appel ce dimanche.
C’est la première fois en effet qu’un tel pas est franchi de manière aussi directe. Jusque-là, le débat s’est limité à des controverses sur certains passages, interprétés différemment, d’où les nombreux dogmes et écoles de l’Islam. Mais pas une seule lettre du livre sacré n’a été changée en 15 siècles, pas même lors de l’avènement du schisme le plus important de l’histoire de cette religion qui donnera naissance au chiisme au 7e siècle. La version actuelle du Coran est identique au premier manuscrit consigné sous le troisième calife Othman.
Cela, Bernard Henry-Lévy et Boualem Sansal, ou même Nicolas Sarkozy et Manuel Valls, encore plus les deux imams qui ont signé le fameux appel contre le nouvel antisémitisme, ne l’ignorent pas, pas plus qu’ils n’ignorent la gravité d’un tel précédent et ses probables conséquences sur la stabilité d’un monde musulman qui s’est enflammé plus d’une fois ces dernières années pour bien moins que ça.
Cet appel cache aussi une volonté manifeste de fausser le débat, de le détourner, ou carrément de se voiler la face, sachant qu’en ce moment précis, l’urgence est censée être d’arrêter le massacre en cours des Palestiniens dans la bande de Gaza. Un intellectuel, même organique, ne peut se dérober à un tel devoir et sa crédibilité ne peut s’accommoder des indignations sélectives, à la tête de la victime.
Or, paradoxalement, de toute cette agitation prétendument antiraciste, se dégage comme un relent de ségrégation, car, pas seulement ces jours-ci mais depuis au moins six décennies, ce sont les musulmans de Palestine qui font par milliers les frais de la folie et de la haine de ceux parmi les juifs qui ont cédé aux sirènes du sionisme.
Onze juifs tués en France – parfois le mobile antisémite n’est pas clairement établi – suffisent pour indigner la planète, jusqu’à songer à corriger un texte sacré pour plus d’un milliard d’individus et vieux de quinze siècles. Il y a sans doute exagération au vu du silence des intellectuels de la vieille Europe devant la banalité avec laquelle l’armée israélienne tire sur des enfants et adolescents, bombarde les habitations, enferme et exile les militants, faisant chaque jour, chaque mois, chaque année, des victimes difficiles à compter, car trop nombreuses.
Depuis au moins la fin de la seconde Guerre mondiale, la classe politique et l’intelligentsia européennes sont hantées par le souci d’éviter de « heurter la sensibilité des juifs ».
Le souvenir de l’Holocauste et des pogroms d’Hitler pollue toujours la vision des Etats et des sociétés occidentales et tout acte ou événement impliquant la communauté juive ou un de ses membres est nécessairement vu par le prisme de la haine et de la discrimination raciale. Jusqu’à qualifier de crime raciste le meurtre d’une vieille dame par de jeunes délinquants qui en voulaient à son argent. Comme si des voyous ne pouvaient avoir d’autres bonnes raisons de s’en prendre à une femme riche et solitaire que la haine de sa religion.
L’Occident, aujourd’hui démocratique, ne l’a pas toujours été et il a la conscience chargée. Il tant de choses à se reprocher sur la question de cette communauté persécutée pendant des siècles par l’Eglise catholique, les nationalismes fascistes des années 30 et 40 et même l’Europe de l’Est socialiste et humaniste. L’antisémitisme est d’abord européen, et lui adjoindre aujourd’hui le préfixe de nouveauté n’en fera pas l’invention ni l’apanage des musulmans. Surtout pas de l’Islam car, et les 300 personnalités signataires de l’appel le savent sans doute, les versets décriés sont aussi vieux que cette religion sans jamais se traduire par une persécution à grande échelle des juifs en terre d’Islam.
Mis à part l’épisode – controversé du reste- de la tribu juive des Banu Qurayza décimée par les premiers musulmans en 627, on ne trouve dans l’Histoire nulle trace de massacre ou de guerre entre les deux communautés qui, au contraire, ont toujours cohabité en harmonie au Maghreb, en Andalousie et dans l’actuel Moyen-Orient.
Occulter aujourd’hui cette réalité c’est prendre le risque de prôner de fausses solutions aux vrais problèmes que sont la montée de l’extrémisme islamiste et, surtout, l’arrogance de l’Etat d’Israël, émanation de l’idéologie sioniste qui en train de nuire au peuple juif plus qu’elle ne le sert.