Économie

Hassen Khelifati : « Il n’y aura plus de remise de plus de 50 % dans la branche automobile »

Hassen Khelifati, PDG de la compagnie Alliance Assurances, détaille dans cet entretien les changements qui vont toucher l’assurance automobile en Algérie à partir de 2021…

Le nouveau protocole d’accord concernant la branche de l’assurance automobile vient d’être approuvé par le ministère des Finances. Qu’est-ce qui changera concrètement pour les clients ?  Doit-on s’attendre à une hausse des prix ? 

Hassan Khelifati. L’ancien protocole n’a pas donné de résultats parce qu’il a été transgressé à cause du manque de mécanismes de contrôle et de suivi.

Dans le nouveau protocole, ces mécanismes ont été renforcés, mais aussi les mécanismes d’alerte et d’implication de l’autorité de régulation, qui est la commission de supervision des assurances. Aussi, il est prévu que dès qu’il est approuvé par les 2/3 des compagnies de la place, il devient applicable et opposable à tout le monde. Mais il faut dire que la totalité des compagnies y ont adhéré.

La commission de supervision a constaté les dégâts causés par la guerre des prix, le dumping et les remises qui sont devenues exponentielles. Elle a donc approuvé le protocole.

Nous prévoyons qu’il entre en vigueur le 1er janvier 2021. A mon avis, la balle n’est plus dans le camp du ministère des Finances, mais dans celui des managers des compagnies d’assurance. Le respect des dispositions du protocole est obligatoire, mais il faut l’engagement de tout un chacun pour le faire réussir.

« Il n’y aura plus de remise de plus de 50 % dans la branche automobile »

Que prévoit ce protocole, qu’est6ce qui va changer ?

Le protocole prévoit trois choses. Premièrement, il n’y aura plus de remise de plus de 50 % dans la branche automobile.

Parce qu’il y a une anarchie, il y a des remises jusqu’à 92 % dans certains cas et cela pénalise les compagnies, la concurrence loyale, l’équilibre financier et technique des sociétés et même le client qui, même s’il a l’illusion de payer un contrat pas cher, il va le payer en réalité indirectement par l’incapacité des compagnies à payer les sinistres, ce qui provoque le prolongement à l’infini des stocks sinistres, l’insatisfaction des clients et la mauvaise qualité de leur prise en charge.

Même le Trésor public est perdant parce qu’il a moins d’assiette fiscale. Je dois toutefois préciser que ce n’est pas une hausse des tarifs d’assurance, parce que les tarifs de base resteront les mêmes.

Ce protocole gère les remises, pas les prix. On a commencé par l’automobile parce que c’est le marché le plus important avec 55 % du chiffre d’affaires du secteur, et dès 2021, on va passer sur les autres branches. Pour les conventions signées sur de longues périodes, nous allons trouver un mécanisme consensuel afin de leur donner un temps réduit pour revenir sur ce niveau de remise l’année prochaine.

« Jusque-là, on peut dire qu’on était dans un poker menteur »

Les Algériens auront donc quelque chose à perdre, ne serait-ce que ces remises importantes…

En réalité, un tarif homologué c’est zéro remise. Si nous voyons les autres marchés, on parle de mois gratuits, de bonus, mais pas de remise.

Dans le nouveau protocole, ces mois gratuits peuvent être admis s’ils rentrent dans le plancher de 50 %, mais offrir par exemple le bris de glace gratuitement, ce ne sera pas admis.

Au contraire, le client va gagner parce que les compagnies vont être saines financièrement et techniquement et le client pourra être exigeant sur la qualité et les délais de paiement.

Jusque-là, on peut dire qu’on était dans un poker menteur, c’est-à-dire on paye moins de prime et on perd dans le remboursement, dans le montant et les délais.

Nous devons engager le secteur sur un chemin vertueux, comme ça se passe ailleurs. On paiera le prix correct et les compagnies auront l’engagement de rembourser correctement et dans les délais.

Qu’est-ce que cela apportera pour les compagnies d’assurance ?

Pour les compagnies, d’abord la situation sera plus claire. On aura une concurrence beaucoup plus portée sur la qualité de service, l’innovation et la prestation au lieu d’une concurrence déloyale faite de dumping des prix à qui mieux-mieux.

Les compagnies doivent revenir  à leur rôle et retrouver leur équilibre financier et technique, parce qu’aujourd’hui, tout est déstabilisé.

Nous sommes dans une situation kafkaïenne ; le dinar est dévalué, le coût de la pièce de rechange et des prestations prend l’ascenseur et les primes sont en train de baisser. A très court terme, il n’y aura plus d’équilibre et les compagnies risquent d’aller vers des situations impossibles.

«  C’est une guerre qui va emporter tout le monde à terme »

Vous confirmez donc qu’il existe des pratiques déloyales dans le secteur ? 

Certainement, on ne peut pas faire semblant qu’on est dans un secteur où tout se passe bien dans le meilleur des mondes. Au contraire, nous sommes en pleine période de renouvellement de fin d’année, et ce que nous constatons en termes de tarification est horrible. C’est une guerre qui va emporter tout le monde à terme.

Un risque qui était assuré pour 10 000 DA il y a deux ans, est aujourd’hui pratiquement gratuit. Il y a une course aux marchés et au chiffre d’affaires, mais au détriment non seulement de l’équilibre des compagnies et du Trésor public, mais au détriment aussi des clients.

Il y a le dumping, il y a aussi la discrimination dans les appels d’offres avec l’élimination de facto du secteur privé. C’est aussi une concurrence déloyale que nous avons dénoncée et que nous continuerons à dénoncer.

Tout le monde se plaint dans le secteur, même les agents généraux et les courtiers qui sont aussi des victimes collatérales. Non seulement ils ne sont payés qu’à l’encaissement, mais aussi leur commission baisse systématiquement avec la baisse de la prime et parfois ils ne sont pas payés parce qu’il y a le problème des créances.

Il est temps de se redresser, qu’on regarde les choses en face et qu’on commence vraiment à lancer un plan de sauvetage du secteur et mettre tout le monde devant ses responsabilités.

La commission de supervision a commencé à accompagner le secteur en prenant un certain nombre de décisions comme l’accord multilatéral ou la suppression de la taxe sur la pollution dans le projet de loi de finances 2021.

Ce sont des actes encourageants, mais le ministère ne peut pas faire le travail à la place des dirigeants et des managers des compagnies à qui il revient en premier de redresser la situation.

L’application de la disposition qui veut que la garantie prend effet le lendemain du paiement de la prime signifie-t-elle que désormais toutes les transactions devront être réglées à leur conclusion, donc la fin des créances ?

Pour les particuliers, il est rare que la prime ne soit pas payée. Le problème se pose effectivement avec les entreprises. En Algérie, nous avons les outils, le problème est dans l’application.

La commission de supervision a rappelé une disposition légale contenue dans la l’article 17 de la loi 95-07 et qui a été mal interprétée. L’article en question stipule que dans le contrat à durée ferme, la garantie ne produit ses effets que le lendemain du paiement de la prime à zéro heure, sauf convention contraire.

La convention contraire vise la prise d’effet et non le paiement de la prime. Malheureusement, il y a eu une application erronée et qui a fait qu’il y a eu beaucoup d’abus dans la vente de contrats sans paiement de la prime. Cela a engendré une accumulation des créances et des pratiques néfastes.

Or, le principe mondial des assurances c’est « no pay, no cover ». La mauvaise interprétation de cet article a fait qu’une compagnie peut être obligée de payer un sinistre à un assuré qui n’a pas réglé sa prime.

Vous pensez qu’on peut appliquer une telle règle aux entreprises algériennes dans la conjoncture actuelle ? 

En tout cas, on sera obligés de passer par là. Il y a les 68 milliards de dinars de créances du secteur qui deviennent problématiques et qu’on doit assainir en trouvant des mécanismes pour cela.

Maintenant, l’année 2021 sera une année de transition, mais le marché algérien doit revenir aux bonnes pratiques internationales. Avec le non-paiement des créances, tout le monde est perdant, les compagnies, les courtiers, le Trésor public et même l’assuré qui, avec l’affaiblissement des compagnies, n’aura pas la qualité de service, le remboursement…

Les conséquences du non-paiement des primes sont énormes. Même chez nos voisins, le contrat d’assurance est payable au moment de sa conclusion.

«  Au 31 août dernier, le montant des créances était déjà de 68 milliards de dinars »

Les compagnies ont été aussi instruites pour accélérer le recouvrement des créances. Le taux des montants impayés est-il si important ? Qu’en est-il au niveau d’Alliance Assurance ?

Au 31 août dernier, le montant des créances était déjà de 68 milliards de dinars pour le secteur. Les choses se sont aggravées pendant septembre, octobre et novembre et je pense qu’on va aller vers des chiffres beaucoup plus importants, à cause de la situation générale, marquée notamment par la crise sanitaire.

A Alliance Assurances, nous sommes à un taux que nous jugeons très important mais difficilement évitable compte tenu des circonstances de notre marché , nous frôlons les 1.5 milliard de dinars dont 92 % récentes des moins de 18 mois.

Donc nous ne faisons pas exception, bien que nous ayons une gestion plus dynamique du poste créances afin d’éviter des situations financières complexes.

Comme c’était un outil de chantage de la part de certains assurés qui menaçaient d’aller ailleurs si le crédit n’est pas accordé, les assureurs se trouvent piégés par leur propres pratiques néfastes et ils sont obligé d’accepter ce genre de situation préjudiciable à leurs équilibres financiers et techniques.

Maintenant les managers sont devant une situation où ils doivent gérer le passif dans le temps, parce que nous ne pouvons demander dès le 1er janvier le recouvrement de 68 ou 90 milliards de dinars, c’est impossible.

Mais il est important de mettre en place des mécanismes pour que ce stock ne se réalimente pas et d’adopter une nouvelle doctrine chez les managers des entreprises pour qu’ils prévoient le paiement de l’assurance à la souscription. Je pense que l’année 2021 sera une année transitoire et que tous les mécanismes seront opérationnels à 100 % au 1er janvier 2022.

La crise sanitaire a eu des retombées sur toute l’économie algérienne et sur le secteur des assurances. Quel chiffre d’affaires doit-on attendre pour l’année en cours et quelles sont vos prévisions pour l’année 2021 ?

On s’attend à une baisse du chiffre d’affaires d’une moyenne de 10 % sur la fin de l’année 2020, soit entre 10 et 15 milliards de dinars. Pour Alliance, nous sommes à une baisse de moins de 10 % à ce jour.

Pour cette année 2020, il ne faut pas oublier qu’il y a eu la crise sanitaire, la crise économique, l’absence de véhicules neufs, la taxe sur la pollution.

Pour 2021, le secteur va reprendre quelque peu si le marché des véhicules neufs revient, mais il y a un autre problème qui risque de surgir, c’est la disparition de pans entiers de PME à cause de l’impossibilité de se relever après cette crise sanitaire.

Les plus lus