Le Pr Mohamed Belhocine est membre du comité scientifique en charge de la lutte contre la propagation du covid-19 en Algérie. Dans cette interview, il répond à nos questions sur la hausse des cas de contaminations, les mesures pour les voyageurs, la poursuite des vols internationaux…Entretien.
On a franchi aujourd’hui la barre des 400 cas quotidien. Que se passe-t-il ? Beaucoup parlent de la troisième vague en Algérie…
Honnêtement, je n’ai jamais été très porté sur vague ou pas vague. Nous avons effectivement une flambée épidémique qui semble devenir de plus en plus importante. Elle avait commencé un peu avant l’Aïd. Il me semble que c’est en train de monter beaucoup plus rapidement, et il me semble que même le chiffre de 400 que vous signalez est un chiffre qu’il faut considérer à sa juste mesure, étant la déclamation des cas PCR positifs notifiés.
Il m’est arrivé déjà de dire qu’il y avait probablement beaucoup de cas qui échappaient aux statistiques, soit parce que les gens ne faisaient pas de PCR, soit parce que les gens étaient vus dans le secteur privé et n’étaient pas comptabilisés.
Je pense que cette situation est encore plus vraie aujourd’hui, d’autant qu’il y a des gens qui passent par d’autres tests, notamment le test antigénique qui n’est pas comptabilisé dans la statistique officielle.
Donc? ce chiffre de 400, il faut très certainement considérer que ce n’est que la partie visible de l’iceberg qui peut être bien plus important que cela.
Que faire ? Quelle est l’urgence ?
L’urgence, il y en a peu parce que quand le nombre de cas devient très important, il y a individuellement urgence de se protéger et protéger les siens. On n’arrêtera jamais de le dire assez. Le port du masque, l’hygiène des mains et la distanciation sociale sont la meilleure protection individuelle tant que nous n’avons pas vacciné 80 ou 90 % de la population.
La deuxième urgence est de vacciner au maximum. Si les services de santé sont débordés, comme ce fut le cas lors des premières flambées que nous avons connues en Algérie, il est possible qu’il faille recourir à des mesures de confinement pour limiter la mobilité humaine. Parce qu’on a très bien compris que quand on limitait la mobilité humaine, on limitait la transmissibilité du virus.
Donc si c’est nécessaire, si les gens ne respectent pas les mesures de protection individuelles et si le nombre de cas continue d’augmenter et que les hôpitaux et les services de santé sont submergés, en particulier les services de réanimation, il est bien possible que comme cela a été fait par le passé, les pouvoirs publics décident de confiner partiellement ou totalement la population pour des durées et selon des conditions qui seront déterminées au cas par cas.
La Tunisie connaît ces derniers jours une flambée des contaminations au Covid-19. L’Algérie a repris le transport aérien avec la Tunisie à partir du 1er Juin. Est-ce que vous avez discuté au niveau du comité scientifique de ces vols entre l’Algérie et la Tunisie ? Comment faut-il agir devant cette situation ?
Les mesures de contrôle aux frontières ne sont pas là pour éviter d’importer un nouveau cas, puisque des cas, nous en avons beaucoup chez nous. Ces mesures sont là pour essayer d’éviter d’importer un éventuel nouveau variant. C’est ça qui est important.
Dans ce sens-là, je pense que les mesures qui ont été prises d’avoir une PCR récente à l’arrivée et d’être confiné quelques jours, puis de subir un test antigénique, ça permet très raisonnablement de filtrer et d’éviter que des cas éventuellement porteurs d’un variant différent de ce que nous avons chez nous puissent rajouter de la gravité de la situation dans laquelle nous sommes.
Donc, je ne vois pas beaucoup de problèmes qu’il y ait des vols avec la Tunisie.
Pour le transport aérien et le retour des ressortissants algériens de l’étranger, est-ce qu’aujourd’hui, avec l’augmentation des contaminations, on doit revoir le dispositif sanitaire mis en place ? Est-ce qu’on a parlé de ça au niveau du comité scientifique ?
Le comité scientifique ne s’est pas réuni depuis quelques jours. Vous savez qu’on est en pleine transition gouvernementale. Les débats d’alléger ou renforcer, dans tous les pays du monde cette question se pose et les gens sont tout le temps en train d’essayer de faire en sorte qu’on reprenne au maximum une activité qui ressemble à l’activité normale tout en étant vigilant sur les risques d’importer des variants.
C’est essentiellement l’importation de variants qui fait peur aux gens et pas tellement l’importation de cas puisque des cas il y en a dans le pays. Bien sûr, l’importation des cas est importante mais je répète que le but de la manœuvre est de se protéger contre de situations nouvelles que nous n’avons pas encore vécues chez nous.
De mon point de vue, le dispositif qui avait été mis en place est un dispositif raisonnablement efficace. Il y a des pays qui confinent 21 jours, voire 29 jours. Il y a des pays qui confinent 3 jours.
Nous avons été raisonnables en consentant un peu de risque mais en nous assurant qu’il y ait le moins possible de risques d’importation de cas supplémentaires et en particulier de cas pouvant être porteurs de variants nouveaux, parce qu’on ne sait jamais quand est-ce que qu’on va se retrouver dans des situations comme ça.
Il y a deux jours, on a interrogé le professeur Senhadji. Il n’est pas pour le confinement de cinq jours. Il est pour uniquement le test PCR et libérer les gens. Que dit le professeur Belhocine ?
C’est comme si vous utilisiez quatre ou cinq tamis. C’est comme si vous aviez de la grosse semoule et vous voulez ne faire passer que les grains les plus fins en bas. Plus vous tamisez, moins vous avez le risque d’avoir de gros grains qui passent en bas. C’est exactement le même principe.
Je n’ai pas de choix personnel particulier. Si vous voulez zéro risque, il faut arrêter les échanges entre les pays. Vous bloquez la mobilité interhumaine. C’est ce qu’a fait la Chine, c’est ce qu’a fait l’Algérie pendant des mois. Le résultat est là. Quand vous reprenez les échanges interhumains, vous consentez un risque de contamination. Vous minimisez ce risque en demandant une PCR simplement. Vous minimisez un peu plus ce risque si vous faites PCR et confinement. Vous le minimisez encore beaucoup plus si vous faites PCR, confinement et PCR avant la levée du confinement.
Tout dépend d’où on veut mettre la barre du risque que nous consentons lorsque nous reprenons les échanges interhumains et la mobilité interhumaine.
Est-ce que vous êtes pour le retour massif de nos concitoyens de l’étranger ?
Je pense qu’on n’a pas assez parlé d’un élément fondamental que tous les pays mettent dans leurs recommandations. C’est que l’année 2021 n’est pas une année de départs en vacances. C’est une année où les voyages sont ouverts pour les gens qui ont une nécessité impérieuse de voyager.
Or, il y a une confusion à mon avis sur ce point précis. Les gens pensent qu’on a rouvert les vols donc on peut aller en vacances chez soi. Non, on ne peut pas aller en vacances chez soi dans une situation épidémique aussi grave partout dans le monde et qui est en train de s’aggraver partout dans le monde.
Il y a aussi besoin de rappeler que ceux qui veulent voyager devraient penser à cela et que le voyage lui-même est un risque de contamination, donc un risque de forme grave et donc un risque éventuellement de décès.
Si on veut éviter ces risques, peut-être que la sagesse appellerait à surseoir à des voyages d’agrément pour ne considérer que les voyages de nécessité impérieuse pour des soins ou rendre visite à un parent malade.
En dehors de cela, « retour massif » vous êtes en train de sous-entendre que les gens viendraient en vacances. Je pense que cette année n’est pas une année où les gens devraient aller en vacances. Ça fait deux ans, oui, nous sommes tous confinés depuis deux ans. Malheureusement, le virus Sars-Cov-2 en a décidé ainsi pour l’humanité. Tant qu’on n’a pas trouvé une solution importante, tant qu’on n’a pas vacciné 90 % de la population de la planète, il faudrait individuellement que les gens réfléchissent aux risques qu’ils prennent et à la conscience qu’ils ont de ce risque.
Après, chaque individu est bien sûr libre, mais si vous savez qu’en montant dans un avion vous risquez d’arriver de l’autre côté en étant contaminé et que cette contamination risque de vous rendre malade vous et vous parents et vos amis que vous allez visiter, peut-être que c’est nécessaire de réfléchir deux fois avant de dire « retour massif ».