A l’approche de la future campagne agricole, la société Asmidal et les Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS) annoncent une augmentation du prix des engrais. Cette hausse provoque l’émoi des agriculteurs d’autant plus que la précédente récolte céréalière a parfois donné des résultats mitigés.
Des prix en nette augmentation
Au niveau des CCLS, le quintal d’engrais Mono-Ammonium de Phosphate (MAP) très prisé des céréaliers est passé de 9 000 DA le quintal à 13 290 DA. L’engrais NPK de type 15/15/15 passerait d’une moyenne de 5 500 DA à 10 370 DA le quintal. Même son de cloche à Bouira avec la liste des nouveaux prix communiqués par l’agence locale d’Oued El Bered. Sur les réseaux sociaux, à la lecture de l’affichage des prix, les réactions des professionnels fusent.
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Afin de décourager les spéculateurs, Asmidal conditionne toute demande d’achat d’engrais par la présentation d’un dossier avec copie de la carte nationale d’identité, de la carte d’agriculteur et de la fiche signalétique de l’exploitation. En outre, comme les engrais sont des produits dangereux, tout transport nécessite l’organisation préalable d’un accompagnement sécuritaire spécifique ce qui complique la logistique.
L’addition est plus lourde pour les agriculteurs sans carte de fellah et qui travaillent la terre sans en être propriétaires. Ils ne peuvent s’approvisionner auprès des organismes publics tels les CCLS et les Coopératives agricoles de services spécialisés et d’approvisionnement (Cassap) car en absence de loi sur le fermage, aucun bail de location n’est reconnu. Ces agriculteurs ne peuvent que s’adresser à des revendeurs privés aux prix souvent plus élevés.
Erosion du revenu des céréaliers
Depuis 2008, les CCLS achètent aux agriculteurs le quintal de blé dur au prix de 4 500 DA. En 2015, il suffisait aux agriculteurs de payer l’équivalent d’un quintal de blé pour acheter un quintal d’engrais de type MAP. Durant la période écoulée, ce sont deux quintaux de blé que devait payer l’agriculteur pour acquérir ce quintal de MAP. Pour la campagne agricole à venir, il devrait débourser l’équivalent de 3 quintaux de blé pour la même quantité d’engrais.
En moyenne, pour un hectare de blé, l’agriculteur utilise un quintal d’engrais de fonds et un autre de couverture, c’est-à-dire respectivement un quintal de MAP et un autre d’urée. En plus des engrais, il doit financer l’achat de semences, d’herbicides et les travaux agricoles (labour, semis et récolte). Or, des augmentations sont également signalées sur ces postes.
Il est question de 7 000 DA pour le quintal de semences d’orge contre 2 800 DA lorsqu’il s’agit de semences certifiées vendues par les CCLS. Autant dire que le revenu des céréaliers connaît une sévère érosion d’autant plus grande pour les exploitations situées dans les zones à faible potentiel. Si en 2008 le litre de gasoil coutait une dizaine de DA, il a aujourd’hui triplé. Or, le prix d’achat du blé dur reste à 4 500 DA, fait remarquer un agriculteur. Et pour labourer un seul hectare, 25 litres de carburant sont nécessaires.
Pour la zone Est, un céréalier parle de dépenses moyennes de 95 000 DA pour un seul hectare de blé. Dans les cas d’itinéraires intensifs, en plus des engrais, il faut ajouter l’emploi d’un herbicide à 12 000 DA, d’un fongicide à 3 500 DA et d’un insecticide à 6 000 DA.
Cet agriculteur s’attend à une hausse de 35% pour les engrais et de 30% pour les produits phytosanitaires. Un autre indique qu’il faut au moins un rendement de 20 quintaux à l’hectare pour couvrir ces charges. Bien sûr l’addition est différente selon qu’il s’agit d’une culture en sec ou en irrigué et qu’il s’agit de terres louées ou non.
Agriculteurs, des marges de manœuvre réduites
Face à l’annonce de ces hausses de prix et de l’émoi suscité chez les agriculteurs, la Chambre Nationale d’Agriculture et les services agricoles multiplient les réunions afin de trouver des solutions. Mais les marges de manœuvres des agriculteurs sont limitées.
Dans le Sud, sous pivot d’irrigation, du fait de la nature filtrante des sols sableux, les doses d’engrais ne peuvent être réduites. Les cultures sont pratiquement sous perfusion. Il serait possible d’utiliser les boues résiduaires des stations d’épuration des eaux usées. Mais peu de vulgarisation a été faite quant à leur emploi. Comme il s’agit de produits pondéreux, il est nécessaire d’assurer une logistique pour leur transport et leur épandage.
Les analyses de sol peuvent permettre d’affiner les doses d’engrais à apporter et donc, dans certains cas, de réduire les doses. Ainsi, la réalisation annuelle d’analyses d’azote du sol par un petit groupe de céréaliers de Sétif leur a permis d’améliorer rendement et qualité des grains.
Autre alternative, broyer et enfouir au sol la paille. Mais avec la sécheresse, celle-ci est très recherchée par les éleveurs. Elle est donc le plus souvent vendue et assure ainsi un revenu non négligeable aux céréaliers.
Il devrait être possible de réduire les doses en localisant les engrais juste à proximité des semences. Mais les semoirs utilisés ne sont pas adaptés à une telle pratique.
Face à ces hausses de prix, la riposte des agriculteurs pourrait être de réduire les postes les plus lourds tels la mécanisation ou de rechercher à participer à la transformation des céréales comme cela se pratique à l’étranger. Mais là aussi, l’aide des services agricoles est décisive.
Alors que le ministère de l’Agriculture prépare la prochaine campagne labours-semailles et prévoit le “report du paiement du prêt Rfig pour les agriculteurs impactés par la sécheresse” comme le note l’APS, l’objectif d’une production céréalière de 71 millions de quintaux prévus dans le plan 2024 du ministère semble bien lointain.