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Hirak : faux leaks et images tendancieuses, comment l’opinion publique est prise en otage

Des photographies et une vidéo non sourcées présentées comme celles de Nasser Zafzafi et d’autres détenus encapuchés pour être héliportés d’Al Hoceima vers Casablanca par des agents de la BRI, corps d’élite antigang de la police judiciaire, circulent sur Internet. Leur conformité a été démentie sous couvert d’anonymat, mais les conditions de ce faux « leak », comme d’autres, soulèvent plusieurs questions de fond.

Une vidéo diffusée sur Youtube par Assabah, le quotidien arabophone du groupe de presse Eco-Medias (L’Economiste, Atlantic Radio) prétendait montrer le transfèrement de Nasser Zafzafi d’Al Hoceima vers Casablanca à bord d’un hélicoptère de la Gendarmerie royale, encapuché, menotté et encadré par des membres des forces spéciales de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention).

Disponible quelques temps sur la Toile, celle-ci a été retirée par le média sans plus d’explications, Assabah étant réputé pour ne jamais commenter, expliquer ou se justifier auprès de ses lecteurs après chacune de ses fake news.

Cette vidéo de 25 secondes montre deux individus débarqués d’un hélicoptère de la Gendarmerie royale par des membres des forces spéciales et de policiers en civil. Les détenus, poignets entravés et tête couverte sont alors poussés dans un fourgon de police stationné sur le tarmac d’un aéroport. Ni le lieu, ni la date de la scène ne sont connus.

La scène, justement, était censée apporter la preuve que les photographies saisissantes d’un traitement exceptionnel appliqué aux manifestants du hirak qui continuent de circuler sur la Toile, sont authentiques.

Images extraites de la vidéo faussement attribuée au transfèrement de Zafzafi à Casablanca.

Or après un buzz de quelques heures, une source sécuritaire anonyme démentait l’information via le site Barlamane, précisant qu’il s’agissait d’une opération ancienne n’ayant aucun lien avec le mouvement contestataire rifain.

Certains détails tendent à conforter cette mise au point, de la corpulence des individus aux fourgons de police, dont l’habillage de la carrosserie ne correspond plus au matériel aujourd’hui en usage par la DGSN pour ce type d’opérations.

Première question qui mérite d’être posée : s’agissait-il d’une fuite organisée de ces images découlant manifestement d’une logique, celle de montrer la figure de la contestation comme un dangereux renégat auquel il lui a été réservé le sort des terroristes ou celui de membres de réseaux clandestins ? Le fait que ce soit Assabah, connu pour être un journal servant de vecteur à ce genre de propagande, crédibilise ce scénario. Il est peu probable qu’il s’agisse d’une méprise éditoriale.

Dans ce cas, pourquoi le média et sa source ont ils rétropédalé ainsi ? Le problème est que ce modus operandi confine à celui dit des « arrestations parallèles » dénoncées par les ONG internationales, ne s’agissant pas dans le cas de Zafzafi d’un individu constituant une menace imminente contre la sécurité civile. Amnesty International, entre autres, s’est souvent inquiétée des nombreuses dérives marquant les interventions de corps policiers qui usent de ces méthodes dégradantes, qui dans certains cas, sont destinées soit à imposer la terreur, soit à dissimuler des actes de torture.

En Espagne, des opérations coups de poing du Mossos d’Esquadra, la police catalane, contre des indépendantistes, assorties de la diffusion de vidéos mises à la disposition de réseaux sociaux montrant des policiers se livrant à une véritable mise en scène lors d’arrestations de manifestants, avaient, en 2014, soulevé une vive polémique sur ce type de pratiques.

Les individus arrêtés avaient été contraints de porter une capuche sur leur tête ou de cacher leurs visages pour être pris en photo au pied des camions de police.

« Pourquoi une telle mise en scène si ce n’est pas pour justifier des arrestations et encourager l’utilisation de moyens toujours plus violents pour réprimer des manifestants qu’on cherche à faire passer pour ce qu’ils ne sont pas ? », avaient alors commenté des observateurs de la société civile.

C’est probablement pour éviter que n’enfle la suspicion sur les conditions de l’arrestation de Zafzafi et de quelques autres activistes du hirak qui l’accompagnaient, que la fausse vidéo a finalement été retirée par Assabah, dont on peut dès lors deviner la source…Ce n’est pas non plus un hasard que ce soit via Barlmane, un site proche des milieux du renseignement, que le désamorçage est intervenu.

LES RÉSEAUX SOCIAUX POUR ÉTOUFFER LA PRESSE

Comme lors des grandes manifestations du 20-Février, la puissance des réseaux sociaux est mise à contribution pour orienter l’opinion publique. La presse est déjà très rétive dans sa majorité à s’opposer à la vindicte organisée contre les figures du hirak à travers Facebook, Twitter et WhatsApp. Depuis la dernière poussée de fièvre dans le Rif, des messages anonymes pullulent sur les réseaux sociaux. Ils mettent en garde contre les risques d’un chaos généralisé faisant un parallèle aussi injustifié que trompeur avec la Syrie ou la Libye, recyclent des images décontextualisées de Zafzafi vautré dans un hors-bord de luxe en compagnie d’une jeune femme en maillot deux pièces, ou encore celle de la « jeune fille voilée au drapeau du Rif », immortalisée par une photo de l’AFP devenue iconique, « retrouvée » bouteille de bière à la main dans les rues d’Amsterdam.

La technique d’enfumage avait déjà été usitée en 2011 quand les jeunes figures du Mouvement du 20-Février avaient été dépeints comme des petites frappes qui carburent au vice et s’adonnent à de sombres rituels par le seul fait de publier leurs photos volées dans un bar, en présence de boissons alcoolisées ou dans la nef d’une église.

Que cherche-t-on aujourd’hui à asseoir dans l’esprit de la population ? Que Nasser Zafzafi menait une double vie entre un Robin des bois des temps modernes, festoyant avec ses amis en privé et ameutant les déshérités en public, et un Malcom X de pacotille, mêlant dans son discours rhétorique marxiste et versets coraniques ? Si décrypter son engagement à travers ses actions visibles et intimes est une nécessité d’intérêt public pour circonscrire sa personnalité et ses desseins, cela doit se faire à travers l’enquête circonstanciée et non par le petit jeu pervers des SMS occultes.

L’effet de ce type de manipulations médiatiques n’est pas résiduel. Il est peut-être aujourd’hui encore plus insidieux que la basse propagande des télévisions d’Etat, qui prises en défaut, ne sont pas non plus contraintes à s’expliquer.

Preuve en est, sa vitesse de propagation et son ciblage, notamment via des applications comme WhatsApp. Anonymes, les messages écrits, les images hors sol et les short videos sont répercutés ainsi à l’infini, sans filtre de compréhension et sans vérifications d’usage les plus élémentaires.

Le phénomène est d’autant plus dangereux que l’impact salvateur de la presse indépendante est fortement diminué en raison de sa fragilisation continue. Il est remarquable aujourd’hui de constater que les journalistes marocains qui couvrent au plus près le hirak sont en majorité soit des correspondants d’agences étrangères, soit des freelances pour la presse internationale, l’autocensure dans les rédactions nationales étant devenue encore plus pesante que par le passé.

DISCLAIMER : Le Desk a choisi de publier la photographie de Zafzafi en couverture de cet article s’agissant d’un personnage public, même si son caractère est privé et que son origine est inconnue. Ce choix est justifié par le cadre précis et indissociable à son usage éditorial, conformément aux règles déontologiques communément admises en matière de presse, de monitoring des médias et des réseaux sociaux.

 

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