Le Hirak a acté hier vendredi son retour, après les manifestations de lundi 22 février à l’occasion de son deuxième anniversaire, et près d’une année après la suspension des marches à cause de la pandémie de Covid-19. Dans cet entretien, la politologue Louisa Driss Aït Hamadouche explique les raisons de ce retour et ses messages, parle des solutions de sortie de crise.
Après la grande mobilisation de lundi à l’occasion du 2e anniversaire de la révolution populaire, le Hirak a acté son retour ce vendredi, avec des manifestations à Alger et dans d’autres villes du pays. Quels sont les facteurs derrière ce retour ?
Les raisons qui expliquent le retour des manifestations sont les mêmes que celles qui ont motivé leur commencement : un changement réel de système de gouvernance.
Ce retour confirme si besoin était que le soulèvement populaire n’était pas dirigé contre le 5e mandat mais contre les acteurs, les règles et les pratiques qui constituent le pouvoir politique en Algérie.
Que signifie le retour du Hirak, après près d’une année de suspension à cause de la pandémie de Covid-19 ?
D’abord il s’agit d’un fait inédit. À ma connaissance, il n’existe pas de situation similaire ou un soulèvement populaire commence, dure pendant plus d’un an, décide de s’interrompre pour une raison objective et décide de reprendre ses manifestations un an plus tard.
Ce retour signifie deux choses : maturité et détermination. Le Hirak est doté d’une maturité qui lui permet de fixer les priorités (la santé publique passe avant les revendications politiques); et il est farouchement déterminé.
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Le pouvoir doit-il revoir sa feuille de route qu’il a héritée du défunt chef d’état-major Ahmed Gaid Salah ?
La reprise des manifestations envoie un message limpide : les décisions prises depuis l’annonce de l’élection présidentielle jusqu’au jour d’aujourd’hui ne satisfont pas les revendications populaires.
Ces décisions n’ont ni convaincu, ni dissuadé les contestataires. La seule conclusion à en tirer est que les autorités font effectivement fausse route.
L’Algérie, qui est confrontée à une grave crise économique et sociale, peut-elle se permettre de continuer à vivre avec une crise politique aussi grave ?
La crise politique est tellement grave que même si la situation économique était favorable, sa gestion serait quand même une refonte profonde du système de gouvernance.
En effet, le statut quo politique ne peut pas produire du développement économique, de la justice sociale, de la croissance. L’histoire montre qu’il ne produit que du clientélisme et de la prédation. Il est impératif que la crise politique soit résolue pour faire face à la crise économique.
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Quelle est la solution ?
Il n’existe pas de solutions miracles appliquées avec une baguette magique. Le changement de système de gouvernance passe par une transition démocratique. Ses préalables sont clairs : libération et réhabilitation de tous les détenus d’opinion, l’ouverture des espaces publics, consécration des libertés individuelles et collectives, mise en place d’une instance réellement indépendante d’organisation des élections.
Des voix critiquent le manque d’initiatives du Hirak pour sortir de la crise. Les marches du vendredi sont-elles suffisantes comme moyen d’expression politique ?
Durant l’année écoulée, le silence de la rue a été compensé par le foisonnement de débats sur les réseaux sociaux. On a pu y entendre des discussions sur des tas de pistes : constituante, parlement constituant, présidentielle anticipée, instance présidentielle de transition, gouvernement d’union nationale ou de compétences technocratiques…
Les propositions existent. Par contre, il est vrai qu’elles ne sont pas portées par des forces politiques organisées.
Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a demandé ce vendredi à l’Algérie de libérer « immédiatement »les détenus du Hirak. Pourtant, le président Tebboune a annoncé une grâce présidentielle en leur faveur, il y a une semaine. La question des détenus d’opinion n’est-elle pas en train de déborder des frontières de l’Algérie ?
Penser que la crise politique occultée en Algérie par les médias publics et une partie des médias privés peut échapper aux yeux du monde c’est se tromper d’époque.
Le renforcement de la souveraineté de l’Algérie ne passe pas par le déni et la théorie du complot mais par la résolution de la crise de confiance. Cette dernière exige l’élaboration d’un pacte démocratique, pas la criminalisation d’un soulèvement populaire pacifique.
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