Le retour du Hirak après près d’une année de suspension pour cause de la la pandémie de la Covid-19, signe un nouveau cycle dans la révolution populaire, qui a mis fin au règne chaotique du président Bouteflika.
Pour son acte II, le Hirak est confronté à deux problématiques majeures, selon ses principales figures : les moyens qui permettent de faire face aux tentatives de division ciblant ce mouvement citoyen, et la nécessité (ou non) de changer de stratégie de mobilisation.
Le fait qu’autant d’énergie soit mobilisée pour essayer de contrecarrer le Hirak, affirme Karim Tabbou, coordinateur national de l’UDS (non-agrée), est la démonstration de la force du Hirak.
« Il impacte de manière très forte la vie politique nationale. Bien sûr que le pouvoir va continuer à manœuvrer, il mobilise une armée de mercenaires politiques, médiatiques…qui veulent détourner le débat, et mettre le Hirak devant ses propres vulnérabilités », a souligné Tabbou, une des figures emblématiques du mouvement citoyen, dans des déclarations à la presse.
« Le mouvement populaire d’essence démocratique et pacifique en lui-même est pluriel, et dans sa nature pluraliste. Le pouvoir s’investit pour créer, à partir de ce pluralisme, les animosités et des fractures à l’intérieur du Hirak », accuse l’homme politique.
Pour ceux qui réduisent le mouvement populaire au simple rempart contre le 5e mandat du président déchu Abdelaziz Bouteflika, la présidente de l’UCP et avocate, Zoubida Assoul oppose la conscience des Algériens de la nécessité de changement du système.
« Le mouvement populaire pacifique, enclenché depuis le 22 février 2019 avait au départ comme objectif de faire barrage au cinquième mandat de Bouteflika, mais pas que : les millions d’Algériennes et d’Algériens qui sont sortis dans des manifestations pacifiques pendant plus d’une année, sont conscients de l’importance de changer le système qui nous a conduits à cette situation », a-t-elle expliqué sur France 24.
« Les Algériens ont compris que ce n’était pas qu’une affaire d’hommes, mais aussi de mode de gouvernance, de système de gestion des affaires publiques », ajoute-t-elle.
« Depuis que le peuple algérien est sorti en février 2019, il continue toujours son combat et revendique que le pays soit bâti sur des bases solides. Malgré que le pouvoir continue à faire la sourde oreille et fait preuve d’aveuglement (…) le peuple est déterminé à mener sa lutte dans le pacifisme », pointait durant la marche du 12 mars dernier, Mohcine Belabbès président du RCD.
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« L’objectif commun pour le changement profond du système de gouvernance reste entier »
Comment prémunir le Hirak contre les tentatives de division? « D’abord en faisant la distinction entre pluralisme et division », abonde la politologue Louisa Dris-Aït Hamadouche, dans un entretien à TSA.
D’après elle, les contradictions et les désaccords qui traversent le Hirak « sont moins des signes de division que la démonstration des idées plurielles qui animent le soulèvement populaire ».
« Il n’y a rien de plus normal à cela puisque le but du Hirak est précisément d’institutionnaliser le pluralisme par des lois et des institutions qui les garantissent et les régulent. Les tentatives de division existent et elles ont commencé en 2019. Deux années plus tard, ces tentatives ont toujours échoué car celui qui unit le Hirak dans sa diversité c’est l’objectif commun : le changement profond du système de gouvernance. Ce dernier reste entier », observe Louisa Dris-Aït Hamadouche.
L’enseignante de sciences politiques à l’université d’Alger assure que la vigueur du soulèvement populaire est naturellement maintenue « par le non aboutissement de ses revendications, par l’inadéquation des décisions prises par les dirigeants et par leur incapacité à amorcer un processus de résolution de la crise ».
Aux voix qui misent sur l’usure voire la lassitude qui pourrait gagner les acteurs du Hirak, Louisa Ait Hamadouche répond : « Parier sur cela pour que le Hirak s’arrête c’est croire que la jeunesse et la classe populaire manquent d’énergie et de motivation ». « Or, ce qui structure l’essentiel des manifestations se sont ces deux catégories sociales », fait-elle remarquer.
« Une lame de fond permanente »
« La seule chose qui puisse sauver ce pays, c’est bien ce Hirak et ces manifestations pacifiques des Algériennes et des Algériens », déclare l’avocat et militant des droits de l’Homme, Me Mostefa Bouchachi.
« À travers la loi de déchéance de la nationalité brandie contre les Algériens établis à l’étranger, il est clair comme l’eau de roche que (le régime) n’a aucune volonté d’écouter le peuple et de passer vers la démocratie », estime-t-il.
L’avocat très actif avec d’autres collègues dans la défense des détenus d’opinion et du Hirak insiste sur la voie pacifique du mouvement citoyen tout en appelant à réfléchir sur la manière de renforcer la mobilisation en suggérant de passer vers des marches quotidiennes dès lors que celles « des mardis et vendredis ne suffisent plus ».
Le politologue Mohamed Hennad constate que le Hirak a retrouvé de sa vigueur d’avant la crise sanitaire liée au Covid-19. « Le Hirak nous étonne pour la deuxième fois. La première fois, c’était la marche historique du 22 février 2019 dont beaucoup de citoyens doutaient, voire appréhendaient. La deuxième fois c’était la marche ayant eu lieu à l’occasion du deuxième anniversaire du Hirak après qu’un certain désespoir commençait à gagner la population. L’on peut, d’ores et déjà, parler d’une lame de fond permanente, même avec un nombre réduit – mais toujours par milliers – de manifestants en comparaison avec les méga-marches du printemps 2019 », analyse-t-il, dans une déclaration à TSA.
« L’importance que les marches reprennent, malgré la pandémie, est une réponse directe aux tenants du pouvoir qui continuent de pratiquer la politique du fait accompli, la dernière en date étant la création de Nida el watan « l’Appel de la patrie » dont le but est de noyauter le Hirak mais aussi de préparer un hold-up sur les élections législatives annoncées pour le 12 juin prochain », ajoute-t-il.
L’avocate active dans la défense des détenus d’opinion et militante politique, Me Nabila Smail, salue la mobilisation citoyenne face, dit-elle, « à un pouvoir politique qui veut imposer sa feuille de route contre la volonté du peuple ».
« Le peuple est en train de dire aux tenants du pouvoir politique avec pacifisme et sincérité mais aussi avec détermination : « Allez-vous-en ! Laissez-nous le pays en paix » ».
L’avocate rappelle les rapports internationaux sur la répression contre les manifestants pacifiques et concernant « les lois liberticides promulguées » en Algérie.
Que faut-il faire à présent ? Faut-il changer de stratégie face à ces tentatives de division du mouvement, comme le suggèrent des voix de plus en plus nombreuses ?
Mohamed Hennad approuve, tout en suggérant la multiplication des marches. « Bien entendu, les manifestants vont être obligés de changer de méthode dès qu’ils s’apercevront qu’ils n’ont aucun impact sur la décision politique. Aussi, le Hirak se trouvera sans autre choix que celui de passer à une étape supérieure, notamment la multiplication des marches, ce qui va aggraver le stress sécuritaire qu’il sera difficile pour les tenants du pouvoir de gérer. Ajouter à cela, le boycott des prochaines élections lesquelles seront cruciales pour la survie du système », relève le politologue.
De son côté, le vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme, Saïd Salhi, est persuadé que « le peuple uni continuera son Hirak pour le changement et le parachèvement de sa révolution pour l’édification de l’État de droit, d’un État civil, démocratique et social », ajoutant que « rien ne fera dévier cette dynamique de sa trajectoire vers la victoire ». « C’est cette voie de l’union et du pacifisme qui va sauver le pays », martèle M. Salhi.
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