Politique

Hirak : les enseignements du 50e vendredi

Comme pour démentir ceux qui voulaient l’enterrer un peu trop vite, le mouvement populaire est revenu en force à l’occasion du cinquantième vendredi. Alger a renoué avec la grande mobilisation et les marées humaines qui convergent des quartiers périphériques vers les rues du centre-ville.

Dans les autres wilayas aussi, la mobilisation est de retour au moment où les observateurs s’y attendaient le moins au vu de la platitude qui a marqué la scène politique au moins durant les deux dernières semaines, hormis le ballet diplomatique qu’a connu la capitale algérienne en rapport avec la crise libyenne.

Pourquoi donc ce regain subit de la mobilisation ? Signalons d’abord que ce n’est pas la première fois que le hirak reprend du poil de la bête après un creux plus ou moins long. Le 5 juillet, puis le 1er novembre et même au lendemain de l’élection du 12 décembre, les Algériens avaient marché par centaines de milliers après avoir été moins nombreux à le faire pendant quelques mois ou semaines.

La conclusion aurait dû être tirée dès le premier grand retour de la mobilisation à l’occasion de la commémoration de l’indépendance : ceux qui avaient cessé de marcher pendant le mois de juin n’avaient pas forcément tourné le dos au hirak et à ses revendications, encore moins acquis à la cause du pouvoir. Il suffit d’une date clé ou d’un événement phare pour que la mobilisation reprenne et se rapproche des niveaux record des premières semaines du mouvement.

Ce vendredi 31 janvier, rien à priori ne laissait présager un tel retour en force des manifestants, de surcroît au lendemain de l’annonce de la mise en échec d’un plan terroriste qui projetait de s’attaquer aux marches populaires. Certes, on est encore loin des pics historiques de mars 2019, mais un net regain est constaté par rapport aux dernières semaines.

L’évolution de la situation politique du pays constitue sans doute la principale explication à ce regain de mobilisation. La sortie en masse des Algériens 45 jours après l’entrée en fonction du nouveau président pourrait bien être le signe de la fin de la période de grâce pour ce dernier et l’expression d’une désillusion générale. À l’image de l’avocat Mustapha Bouchachi qui le répète inlassablement tous les vendredis depuis la présidentielle, beaucoup estiment en effet que très peu de choses ont véritablement changé et que rien ne permet de déceler dans tout ce qu’entreprend le pouvoir une volonté de tenir la promesse de « concrétiser toutes les revendications du hirak ».

Le seul point marqué par le nouveau président, c’est la libération du moudjahid Lakhdar Bouregaâ, du général Hocine Benhadid et de près de 80 autres détenus d’opinion, dont beaucoup avaient d’ailleurs purgé leur peine. Pour le reste, c’est le statut quo, que ce soit pour la gestion sécuritaire ou le traitement politique de la crise. Poursuite des arrestations, maintien en détention des figures du hirak, blocage de la capitale, fermeture médiatique et censure, entrave à l’action des partis politiques, difficile de convaincre d’une marche résolue vers le changement et la démocratie.

Surtout, le pouvoir peine à produire un discours rassurant et à lancer une dynamique sérieuse de sortie de crise. « Le gouvernement et le chef de l’État sont incapables à ce jour de lancer une dynamique politique ou économique. Ils sont incapables d’aller vers un dialogue sérieux avec les acteurs politiques et les acteurs du hirak. Au lendemain du 12 (décembre), ils sont retombés dans le statu quo qu’on avait connu du temps de Abdelaziz Bouteflika ». Le constat est de Mohcine Belabbas, président du RCD.

Les consultations avec certaines personnalités nationales et la mise en place d’une commission d’experts pour la révision de la constitution laissent en effet chez beaucoup une impression de déjà-vu qui ne prête pas à l’optimisme. À ce rythme, un autre pic de la mobilisation n’est pas à exclure dans trois semaines, lorsque le hirak soufflera sa première bougie, et même au-delà.

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