Politique

« Historiquement, il n’y a pas de révolution sans contre-révolution »

L’actualité politique et judiciaire nationale est marquée par des vagues d’arrestations et d’interdictions de sortie du territoire contre certaines personnalités politiques. Quel est l’objectif de ces opérations ?

Pr Rachid Tlemçani, politologue : L’Algérie vit une situation révolutionnaire exceptionnelle depuis trois mois. Ce que le mouvement du 22 février a accompli, dans une ambiance bon enfant, en un laps de temps très court, la diplomatie nationale avec son puissant appareil, pléthore de diplomates, de consulats et d’agents sécuritaires et un budget considérable, n’a pas pu réaliser en un demi-siècle. Au niveau national, le mouvement a consolidé la cohésion sociale et la solidarité nationale que l’ancien régime a tenté d’épuiser et de brimer.

Ce mouvement comme toute révolution n’est pas un fleuve tranquille. Il s’est heurté dès son irruption à la contre- révolution, malgré qu’il est perçu par tout le monde comme révolution pacifique, ou une « révolution du sourire ». Mais on n’ose pas prononcer, je ne sais pour quelle raison, le terme de « contre-révolution », probablement de crainte d’écorcher l’égo du « politiquement correct ».

Ces « vagues d’arrestations et d’interdictions » et bien d’autres actions (fake news, mouches électroniques, barrages filtrants, bombes lacrymogènes, arrestations …) sont des éléments de la contre-révolution. Les tifos et les grands posters portant des mots d’ordre opposés n’ont pas été élaborés par des citoyens lambda. Leur confection nécessite des moyens financiers, de la logistique. Lorsqu’on voit les mêmes tifos à travers le pays, cela ne peut être que l’œuvre des réseaux du pouvoir occulte. Historiquement, il n’y a pas de révolution sans contre-révolution, plus prosaïquement, on ne fait pas d’omelettes sans casser les œufs. L’absence d’idéologie cohérente conduit manifestement aux théories du complot. Les forces contre-révolutionnaires sont présentes dans la société civile, les médias, les syndicats, la société militaire, dans tous les secteurs d’activités du pays. On n’est jamais assez vigilant.

Cette démarche vise-t-elle le démantèlement du réseau de l’ex chef du DRS ?

Chaque État, démocratique ou autoritaire, a son propre État profond, ses baltaguias et ses barbouzes. Cette situation devient très problématique lorsque les institutions de la République sont utilisées comme paravent par des unités officielles et des réseaux mafieux pour satisfaire des intérêts d‘individus, de familles ou de clans.

La situation du pays est aujourd’hui très complexe, elle ne se caractérise pas par deux forces diamétralement opposées, la révolution face à la contre-révolution. Il y a de nombreux acteurs en jeu, les anciens réseaux du DRS, les nouveaux réseaux, l’opposition institutionnelle (islamiste, démocrate, culturaliste, progressiste, politicienne, militariste … et opportuniste), les gardes corps des oligarques, les citoyens lambda et les sans-grades. La situation est très confuse d’autant plus que le mouvement citoyen, un mouvement spontané et sans leadership, n’est pas parvenu à mandater ses authentiques représentants. Mais il ne faut pas s’en inquiéter. Il ne faut pas se précipiter. Un changement ordonné est plus salutaire que le maintien de l’immobilisme.

Y-a-t-il un risque d’un retour vers le même réseau du DRS sous une autre configuration ?

Les réseaux récents tentent de se substituer aux anciens réseaux dans la nouvelle configuration en gestation. Par contre, ce phénomène ne se produit pas de cette manière dans les pays démocratiques. Puisque l’enjeu crucial dans ces derniers pays reste le renforcement de l’État de droit et la préservation de l’intérêt national. Dans les régimes militaro-policiers, par contre, les réseaux sont un instrument aux mains du groupe dominant lui permettant accroître son pouvoir au détriment de l’intérêt national. L’ex-chef d’État a passé une partie de sa vie à manipuler les commis d’État et des responsables politiques, à structurer et restructurer le puissant appareil sécuritaire constituant la clef de voûte du système politique. Le remue-ménage s’est substitué à la profonde réforme du secteur sécuritaire, tant attendue, par la communauté internationale, entre autres. Une telle réforme constitue l’élément structurant de toute transition politique, de type démocratique.

Mais les anciens réseaux ne disparaissent pas facilement pour autant dans la nature. Certains éléments sont intégrés dans les nouveaux réseaux tandis que les autres restent en veille. Le passage est fluide entre les anciens et les nouveaux réseaux. Une solidarité de type ‘’açabiya’’ anime les groupes sécuritaires et la police politique.

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