« Attendre deux ans pour voir un cardiologue ce n’est pas acceptable. On sera mort avant! » Dans la salle municipale de Montargis, la femme en rose est chaudement applaudie. Hors Paris et les grandes villes, le système de santé français sombre, faute de médecins.
C’est un paradoxe au pays de la « sécurité sociale » qui, depuis l’après-Seconde guerre mondiale, garantit à tous l’accès gratuit aux soins, même pour les protocoles les plus lourds, et un motif de colère des « gilets jaunes » qui se mobilisent depuis la mi-novembre contre le gouvernement et la politique du président Emmanuel Macron.
A Montargis, 100 km au sud de Paris, la mobilisation est particulièrement suivie. Plus aucun généraliste en exercice n’accepte de nouveaux patients dans cette ville de 15.000 habitants. La région, le Centre-Val de Loire – qui s’étend jusqu’aux châteaux des rois de France sur la Loire – présente la plus faible densité médicale de France avec 76 généralistes pour 100.000 habitants, selon l’Atlas de l’Ordre des médecins, bonne dernière sur le territoire métropolitain.
Fracture territoriale
« On vit une fracture territoriale », constate Jean-Pierre Door, député de la ville et cardiologue. « Les métropoles ont siphonné les territoires ruraux ».
En cause, la démographie médicale, explique-t-il: des médecins qui vieillissent et prennent leur retraite sans être remplacés faute de relève, héritage notamment d’une politique qui a consisté depuis 40 ans à faire de la première année de médecine un déprimant goulot d’étranglement qui élimine 80% des étudiants. Dans les années 2000, on en laissait passer 3.500 par an – dont 8% seulement ont choisi la médecine générale.
« Plus personne ne veut vivre comme ces médecins d’autrefois, qui travaillaient 20 heures par jour, sept jours sur sept », relève-t-il.
Face à l’urgence, Emmanuel Macron a annoncé une réforme des études, « mais il faut 12 ans pour former un praticien » rappelle le député. Bien que proche de la capitale, bien desservie par une autoroute, la ville de Montargis « vit une désertification identique à toute la France ».
Conséquence, l’hôpital, seul établissement pour un bassin potentiel de 150.000 habitants, voit ses urgences submergées malgré ses 130 médecins: « Il y a 15 ans, elles recevaient 15.000 patients par an, aujourd’hui c’est 60.000 avec 5 à 6 heures d’attente » note l’élu. Sur ce nombre, plus de 60% ne concernent pas une véritable urgence mais une simple otite ou un bobo, voire un renouvellement d’ordonnance, précise-t-il.
Plus grave, le suivi médical des patients n’est plus garanti.
Installé depuis quelques mois à Montargis, le jeune cancérologue François Camus ne cache pas sa surprise: « Je vois ici des cancers à des stades avancés, avec des atteintes périphériques. Faute de médecins traitants, le diagnostic a été trop tardif. »
Il cite l’absence de gynécologue en ville: « Les femmes n’ont pas consulté depuis plus de 20 ans parfois et arrivent avec des tumeurs énormes ». La situation se répète en pneumologie et dans d’autres spécialités et une fois le traitement lancé, ou achevé, le Dr Camus ne sait plus à quel médecin référer ses patients pour le suivi.
Justice médicale
Sur les forums en ligne, le désert médical est abondamment commenté. « Si vous cherchez un dentiste, accrochez vous! ça fait 5 ans que j’en cherche un » écrit « Nelly ».
Lors du premier débat organisé en ville dans le cadre des échanges décrétés par le président Macron pour désarmorcer la crise des « gilets jaunes », la dame en rose, Catherine Adrien-Camus (sans lien avec le cancérologue) réclame « la justice médicale ».
« On a tous le droit d’être soignés, les médecins devraient avoir l’obligation de venir 4 ou 5 ans là où on a besoin d’eux après leurs études », suggère-t-elle.
Mais pour le Dr Door, la coercition ne marchera jamais. A la place, il a favorisé depuis deux ans l’installation de « maisons médicales »: sur un site dont le loyer est offert par la collectivité locale, elles regroupent des médecins généralistes et spécialistes, des infirmières, des kinés.
Et désormais, s’inspirant des situations vues au Québec ou en Suède, dans des régions difficiles d’accès, il a défendu l’ouverture de consultations de télé-médecine, en présence d’une infirmière qui relève les constantes du patient (tension, poids, température…) et dialogue à ses côtés avec un praticien via Skype.
La région est ainsi devenue pionnière en la matière. A Montargis, constate-t-il, on peut se soigner « comme à bord de la station spatiale ou sur un voilier de la course autour du monde ».