En Algérie, l’année 2019 débute par la disparition du chanteur Houari Manar, véritable star du raï, à l’âge de 38 ans. Selon sa famille, Houari Madani, de son vrai nom, est décédé lundi 7 janvier dans une clinique privée à Sidi Yahia, à Alger, après une anesthésie avant une opération de liposuccion (aspiration de graisse).
Le défunt est tombé dans le coma avant le décès. La clinique n’a pas fourni d’informations sur les conditions de la mort. « Il était le plus tendre et le plus calme de ses frères. Il était l’ami des pauvres », a témoigné sa tante. « J’aurai voulu partir à sa place », a pleuré son père devant les caméras de télévision.
Natif d’une famille nombreuse d’Oran, formée de douze frères et sœur, Houari Manar a vécu, dès l’âge de 4 ans, à Marseille, au Sud de la France, où il a fait des études en hôtellerie-restauration. « Mais je savais que je ne pouvais pas faire autre chose que chanter. Encore enfant, je reprenais les chansons de Céline Dion, Mariah Carey, Francis Cabrel, etc. », avait-t-il confié aux médias.
Il marchait en fait sur les traces de sa mère, une des grandes meddahate (chanteuses qui animent les soirées de mariage et d’autres fêtes dans l’Ouest algérien), et de son frère aîné, Cheb Massaro, qui anime les soirées des Bouches-du-Rhône, et parfois d’Oran. Cheb Larbi est un autre frère chanteur de Houari Manar.
Succès à partir de 2006
En 2003, il rentre en Algérie pour enregistrer deux albums, « Cha dani bent nass » et « Kima ndirlek ma terdhach », avec Saint Crépain, les célèbres éditions d’Oran, qui le font connaître sur la scène du pop-rai en pleine crise de croissance, après les grands succès de Khaled, Mami et Zahouania, lesquels avaient survolé les années 1990.
Aidé par Cheba Fadéla, Houri Manar a continué son parcours avec détermination avant de connaître la première consécration en 2006 avec « Aâchkek mon traitement » (Ton amour est mon remède), repris par les éditions Sun House de Djillali Laïdi. L’album a été enregistré avec Cheb Kader. « Aâchkek mon traitement » s’inscrit clairement dans le registre du gay-rai, style introduit par Cheikh Abdou et Cheikh Bouarfa.
Gay love et romantisme musical
Ce style, qui frôle avec l’underground, puise parfois dans de la poésie populaire et parfois dans des paroles libres où l’attirance vers les hommes est revendiquée à haute voix. La musique est, elle, roots aux senteurs bédouines avec un appui fort sur les percussions. Cela a fait son succès auprès des jeunes. Comme le love-rai, à la Hasni ou à la Nasro, ne fait plus de recettes, le gay-rai, qui se nourrit parfois du romantisme musical des années 1980, a supplanté les autres styles. « Hobek katel immortel », en 2007, est le deuxième grand succès de Houari Manar, toujours en duo avec Cheb Kader. La chanson est un échange langoureux entre les deux raimen sur l’amour puissant, aveugle. « Ta peine est forte, tu es la cause de tout, et moi je n’en peux plus », chante Houari Manar, la voix mélancolique.
« Il faut faire des belles choses »
« Zaâzat biya sass el mahna » (tu as secoué la base de ma peine) a connu un franc succès en 2008, caracolant en tête du hit-parade de la Corniche oranaise et des milieux de la nuit partout en Algérie. « Ya tebradi qu’est-ce que tu m’as fait ? Tu as allumé la bougie de l’amour et tu m’as fait fondre doucement. Mais qu’a donc fait mon cœur pour mériter tout cela », se plaint Houari Manar dans cette chanson aux paroles artistiquement ambiguës.
Après 2008, Houari Manar, consacré comme une valeur sûre du raï, a enchaîné les succès en assumant une certaine liberté du ton et de parole mais sans s’éloigner de l’esprit festif.
En 2015, son album « Basta » fait un tabac. « Je voulais dire basta aux mauvaises chansons. Je veux que mes chansons soient écoutées par tout le monde. Il faut travailler dur pour préparer des chansons. Il faut faire des belles choses. La fin d’une carrière doit se faire en beauté », a-t-il plaidé dans une interview à Beur TV. « Fouwtanaha ou fatet », qui s’approche du mode meddahate, « Al âch’q waâr » et « Nensak machi sahel » figurent parmi ses dernières chansons au ton tout aussi suggestif et aux couleurs tout aussi vives que les précédentes. Avec le claviériste Tipo Bel Abbes, demandé par tous les interprètes du rai, Houari Manar a fait son dernier album dont le titre phare est « Wala fel ahlem we ygoulek je t’aime ».
Durant sa carrière de treize ans, Houari Manar, servi par une voix légèrement cassée, s’est appuyé sur les paroliers Toufik Boumelah, Houari Baba et Abdelhak Souag pour « confectionner » un style bien à lui avec des phrases un peu provoc’, mais pas assez pour susciter le scandale.
« Vous me faites rire lorsque vous vous montrez sérieux », plaisantait souvent l’interprète au début de ses chansons, comme pour se moquer de tout, rappeler que la musique est aussi un moyen de se lâcher un peu, s’amuser.
« Je chante l’amour à haute voix »
« L’amour ne s’exprime pas, il se vit ! Moi, je chante l’amour à haute voix », disait Houari Manar, dans une de ses rares interviews. Interdit d’antenne à la télévision et à la radio publiques en Algérie, Houari Manar n’est devenu visible à l’écran qu’avec les chaînes privées algériennes mais son audience sur Youtube et sur Facebook est forte.
Dans la tradition du raï, chant rebelle avec ses mots et ses airs, les stars brillent en dehors du circuit officiel, du ciel dégagé de la bien-pensance et du conformisme culturel.
Houari Manar, qui adorait les parfums et les voitures, faisait attention à sa coiffure, devenue presque « une mode » dans les milieux branchés de la nuit. Il était quelque peu bousculé par Mamidou, autre étoile montante du Raï.
Très apprécié au Maghreb, surtout au Maroc, Houari Manar disait toujours que les artistes n’ont pas de « nationalités ni de frontières ». Il passait son temps à voyager d’une capitale à une autre, d’une salle de spectacle à une autre, d’un concert privé à un autre. Il voulait faire un duo avec la Marocaine Daoudia et l’Algérienne Zahouania. Il était fan de Khaled, « le vrai », disait-il souvent, et de Cheba Djenat, Cheb Akil, Cheba Kheira et Hasni. Son plaidoyer : « Sauvegarder le rai avec ses paroles et ses mélodies ».
Jusqu’à ses derniers jours, Houari Manar vivait seul avec sa mère à Oran, alors que le reste de la famille est établi à Marseille (ses parents sont séparés). « J’aime bien accompagner ma mère au marché d’Oran », confiait-il. De nature généreuse, Houari Manar aidait, loin des caméras et des spotlights, les associations caritatives et sociales d’Oran et faisait appel, à chaque fois, aux artistes pour venir en aide aux plus démunis. « Je veux ouvrir une boulangerie pour vendre et offrir le pain », a-t-il dit à ses amis.