Les crises profitent aux opportunistes. Depuis plusieurs mois, la spéculation est régulièrement mise en cause dans l’aggravation des pénuries de certains produits de base en Algérie.
Le phénomène a désormais atteint un secteur névralgique qui devait à tout prix être épargné, celui du médicament.
La pratique est d’autant plus inacceptable qu’elle touche des médicaments entrant dans le protocole de traitement de l’épidémie mortelle du covid-19.
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Plusieurs facteurs ont certes contribué à compliquer les crises successives, dont parfois une faiblesse de l’offre, la hausse des prix des matières premières sur les marchés internationaux, les restrictions sur les importations, la frénésie d’achat des ménages ou encore des dysfonctionnements dans les circuits de distribution.
La spéculation aussi n’est pas une vue de l’esprit. Les plus hautes autorités du pays l’ont pointée du doigt dès la première pénurie, celle de la semoule au tout début de la crise sanitaire, au printemps 2020. La pénurie d’huile de table est par exemple difficile à expliquer, sinon par les surstocks des grands distributeurs ou peut-être même l’exportation illégale au vu des quantités énormes qui sortent quotidiennement des usines de raffinage.
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Afin de combler les lacunes juridiques qui empêchent la lutte efficace contre le phénomène, une loi a été adoptée en décembre dernier. Le texte définit la spéculation comme étant le « stockage ou dissimulation de biens ou de marchandises dans le but de créer une pénurie sur le marché ou des perturbations dans l’approvisionnement », l’ « augmentation ou baisse factice des prix des biens, des marchandises ou des titres » et « la diffusion délibérée de fausses informations tendancieuses en vue de créer des perturbations sur le marché et augmenter les prix subitement sans aucun justificatif ».
L’obtention d’un profit non provenant de l’application naturelle de l’offre et la demande est aussi considérée comme de la spéculation en vertu de la nouvelle loi.
Des peines extrêmement sévères sont en outre prévues pour les auteurs de tels actes, allant jusqu’à 30 ans de prison en cas de spéculation en temps d’épidémie ou de catastrophe. Si le crime est commis par un réseau criminel organisé, c’est carrément la réclusion à perpétuité. Le président de la République a même évoqué en octobre dernier la peine de mort « s’il le faut », qualifiant la spéculation d’ « ennemi juré » de l’économie nationale.
Prix élevés et vente concomitante
La loi est entrée en vigueur et les premières condamnations ont eu lieu. Début janvier, deux commerçants de Constantine ont écopé de 7 et 3 ans de prison ferme pour avoir stocké à des fins de spéculation de grandes quantités d’huile de table subventionnée.
Mais l’effet de la nouvelle loi semble jusque-là limité puisque la spéculation sévit toujours. Au moment où personne n’arrive à comprendre où vont les cargaisons d’huile de table qui sortent des usines, des actes de spéculation et autres pratiques commerciales illégales sont signalés dans le secteur de la pharmacie, affectant particulièrement certains médicaments prescrits pour les malades atteints de covid.
Le Lovenox, indispensable pour certains cas à risque, se vend sous le manteau depuis plusieurs mois. Une récente campagne d’inspection du ministère de l’Industrie pharmaceutique a confirmé ces pratiques inadmissibles.
Des opérations de contrôle ont été effectuées entre le 23 et le 27 janvier au centre et à l’est du pays et « il a été constaté la rétention de 16000 boîtes d’Enoxaparine (Lovenox) et de 250.000 boîtes de Paracétamol », indique un communiqué du ministère publié samedi soir.
Des mises en demeure ont été signifiées pour l’injection des quantités stockées dans le circuit commerciales et des mesures de fermeture devraient être prononcées dès ce dimanche 30 janvier. Le ministère de l’Industrie pharmaceutique ne fait pas état de l’engagement de poursuites judiciaires à l’encontre de ceux qui ont été pris en flagrant délit de stockage illégal de produits autrement plus sensibles que la pomme de terre et l’huile de table.
La même source fait état d’une pratique que personne ne pouvait soupçonner dans un domaine aussi sensible et régulé que celui de la pharmacie : la vente concomitante.
Il s’agit manifestement d’une mise en danger de la vie de ceux qui n’ont pas les moyens de payer le prix doublé ou triplé du médicament, vital pour certaines catégories des malades du covid, comme les femmes enceintes et les malades chroniques.
L’Algérie est indéniablement face à un véritable fléau endémique qui se manifeste à la moindre crise ou pénurie et qui appelle de toute évidence un contrôle et une fermeté constants, à fortiori dans les périodes de crise.