Le PDG de Sonatrach Toufik Hakkar s’est exprimé jeudi sur la radio nationale. Ceux qui attendaient des chiffres ou des prévisions concrètes dans un contexte d’inquiétude nationale quant aux performances de l’industrie nationale des hydrocarbures qui fait vivre le pays, sont restés sur leur faim.
L’intervention du premier responsable de la plus grande entreprise d’Algérie est une succession d’auto-satisfécits et de messages rassurants. Pour reprendre le compte-rendu du site de la radio, la compagnie nationale a su faire face aux effets de la crise sanitaire mondiale, et a su « maintenir le cap des investissements et l’exploration ».
Son objectif ? Maintenir, voire même augmenter les niveaux de production des gisements matures qui nécessitent un effort de maintenance. Pour résumer, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Hydrocarbures : baisse de la production et des exportations
Pourtant, Sonatrach a connu une année noire en 2020. Le volume global des exportations d’hydrocarbures de l’Algérie a atteint 82,2 millions en tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2020 pour une valeur de 20 milliards de dollars, soit des baisses respectives de 11 % et de 40 % par rapport à 2019, selon les chiffres du ministère de l’Énergie.
Le procédé est maintenant éculé au sein de la compagnie pétrolière nationale : les PDG en exercice dressent des tableaux reluisants tout au long de leur mandat et leurs successeurs se chargent de dévoiler la face cachée de leur gestion. Toufik Hakkar ne déroge pas donc à la règle.
Exemple : le rachat de la raffinerie d’Augusta en 2018 était présenté par Abdelmoumène Ould Kaddour, alors premier responsable de Sontarach, comme la panacée aux problèmes du pays en raffinage.
Deux ans après, l’Algérie découvre que l’acquisition a gravement porté préjudice à ses intérêts au point où la justice s’est saisie du dossier et un mandat d’arrêt lancé contre « celui qui est à l’origine de cette affaire », selon le Premier ministre Abdelazizz Djerad.
Aucune raison de douter de la probité de Toufik Hakkar, qui vient d’ailleurs d’être distingué par le magazine Forbes Moyen-Orient, ni de celle de son équipe, mais cette façon de communiquer, qui devrait revenir aux politiques et non aux techniciens et aux gestionnaires, n’est pas nouvelle et n’a pas toujours servi Sonatrach et l’industrie algérienne des hydrocarbures.
La preuve, la production nationale en gaz et pétrole recule d’année en année et ce n’est qu’après-coup que des chiffres sont mis sur le déclin inexorable. Il y a bien un problème à Sonatrach et, à un plus haut niveau de responsabilité, dans tout le secteur de l’énergie et la politique nationale en la matière.
Pour l’entreprise, ce n’est pas le défilé de 4 PDG depuis 2016 et 12 depuis 2010 qui peut démentir le constat. La récente montée au créneau d’un sénateur qui en a dénoncé « une république autonome », devant un ministre de l’Énergie qui n’a pas trouvé grand-chose à dire, s’ajoute aux nombreuses critiques entendues à propos de la gestion de Sonatrach.
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Une tâche immense dans un contexte défavorable
Le ministre Abdelmadjid Attar n’est pas resté longtemps en poste après ce face-à-face. Il a été remplacé lors du dernier remaniement ministériel sans que l’on sache les véritables raisons de son remerciement huit mois seulement après sa nomination. Il se dit qu’il a été écarté à cause de ses différends avec le patron de Sonatrach dans plusieurs dossiers. Ses tentatives de convaincre le premier ministre Abdelaziz Djerad de remplacer Hakkar auraient toutes échouées.
Attar est justement un ancien PDG de Sonatrach (qu’il a dirigé entre 1997 et 2000), il connait bien Hakkar, la maison et ses dysfonctionnements et il est connu pour ne pas trop affectionner la langue de bois.
Dans un entretien à l’agence russe Sputniknews publié en janvier, Attar avait dressé un constat morose de la situation de Sonatrach. Il a fait le portrait d’un groupe pétrolier naviguant à vue, sans stratégie et manquant de compétences pour faire face aux défis modernes auxquels elle est confrontée.
Durant son cours passage au ministère de l’Énergie, il a remis en cause publiquement plusieurs orientations de la compagnie, comme la diversification de ses activités au détriment de son cœur de métier ou le sponsoring de clubs de football.
Attar a aussi dénoncé les retards dans les programmes de transition énergétiques. Il y a comme une absence d’orientation claire au niveau politique d’abord, chez les managers successifs de Sonatrach ensuite.
Sinon comment expliquer le fait que les textes d’application de la nouvelle loi sur les hydrocarbures n’ont toujours pas vu le jour ? Est-ce vraiment un retard technique dû aux retombées de la crise sanitaire, ou une tergiversation par rapport à la mise en application des dispositions du texte ?
« En arrivant au ministère, en juin 2020, je n’ai trouvé aucun texte en préparation. En fait, l’anomalie était la suivante : cette loi a été élaborée par la Sonatrach. Les décrets d’application devaient également être préparés par la compagnie. Mais rien n’avait été fait », déplorait Attar dans le même média. La critique visait directement Hakkar, qui était en poste depuis le 5 février 2020.
On sait juste que la loi a été adoptée dans l’urgence fin 2019 pour attirer des investissements qui viendront stoppé le déclin de la production et que, plus d’une année après son adoption, les capitaux étrangers se font toujours attendre.
Conjuguée à la chute des prix du baril, la baisse de la production a valu au pays des recettes très en-deçà de ses besoins en 2020 : à peine 22 milliards de dollars.
Les faibles volumes exportés ont fait dire à Bloomberg que l’Algérie est le seul pays de l’Opep à ne pas atteindre son plafond de production et qu’elle risque de « rater » et de ne pas tirer grandement profit de l’actuelle embellie des cours.
Les agences et cabinets mondiaux les plus écoutés sont formels quant au déclin de la production algérienne, au peu d’attractivité du secteur pour des raisons fiscales ou autres, et à l’inadéquation des moyens et des méthodes de Sonatrach.
La tâche est d’autant plus immense qu’elle s’impose à la compagnie nationale dans un contexte mondial de prévisions presque unanimement pessimistes pour les énergies fossiles au profit du renouvelable.
Les Algériens attendent plus de transparence, une orientation claire loin de toute considération politique et, surtout, des actions concrètes.