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« Il appartient aux acteurs politiques de s’entendre sur le contenu des réformes »

« Il appartient aux acteurs politiques de s’entendre sur le contenu des réformes »

Le président Tebboune, multiplie les rencontres avec les personnalités politiques. Comment analysez-vous la démarche et ses objectifs ?

Mansour Kedidir, politologue. Le dialogue initié par le président Tebboune est une initiative louable à plus d’un titre. C’est une voie saluée par la classe politique dont les figures emblématiques marquant le mouvement de contestation populaire ont toujours revendiquée. Néanmoins, tout dialogue n’aboutit pas aussi facilement à la résolution de la crise. Nous sommes en face d’un processus lent et laborieux. Pour éviter tout écueil, l’approche doit être rationnelle, inclusive et transparente.

Le premier aspect appelle le cadrage du dialogue. Dans les consultations qui se déroulent actuellement, on ne sait pas si le président de la République voudrait consulter les uns et les autres pour pouvoir identifier les failles du système et dégager des solutions pour une sortie de la crise. Ou s’il s’agit d’une recherche de légitimation de son pouvoir. En tout état de cause, les deux procédés ne s’excluent pas. En tenant compte des propositions des personnalités nationales et politiques consultées, le président Tebboune confortera son autorité.

Le deuxième aspect de la démarche commande d’impliquer tous les acteurs politiques et sociaux sans exclusion. Le premier est, de toute évidence, les représentants du Hirak. Sans l’ombre d’un doute, ce dernier présente des difficultés au niveau de sa représentation. S’agissant d’un mouvement populaire de contestation, hétéroclite et formé des plusieurs tendances, bien que les noyaux de quelques partis semblent le dominer, la Présidence doit chercher les moyens adéquats pour l’aider à se faire représenter. Car, si cette difficulté est patente, on ne peut ignorer la dynamique sociale créée par le Hirak. Le nouveau président gagnerait, même si la tâche parait éprouvante, à œuvrer dans la sublimation du Hirak, – il l’a fait dans son discours d’investiture-, dans le but d’amorcer une démocratisation des institutions. En d’autres termes, le Hirak voudrait être reconnu comme acteur majeur dans la scène politique. Le troisième aspect renvoie à la transparence.

Que pensez-vous de la communication qui accompagne l’appel au dialogue et comment celle-ci doit-elle se dérouler ?

Dans cette optique, il nous semble qu’une communication élaborée rigoureusement, selon des canons scientifiques avérés, jouera un rôle important dans la structuration de l’espace médiatique dont le vecteur reposera sur un langage démocratique à même d’amorcer un consensus pour l’avènement d’une nouvelle République. Si, toutefois, il y a discordance entre le discours officiel dans l’usage de mots à charge sémantique, renvoyant à des références des expériences du passé, d’une part, et les revendications du Hirak et de certaines formations de l’opposition, d’autre part, la communication, qui accompagnerait le dialogue connaitra un échec certain. À titre d’exemple, un résumé du contenu des consultations, rendu public, soit à la fin de chaque cycle ou à la clôture, soutenu par l’organisation des débats dans toutes les chaines de télévision selon une stratégie arrêtée avec les médias et la presse écrite, actera une nouvelle gouvernance politique dont les effets lisseront les reliefs de l’hésitation, du doute et du ressentiment des citoyens.

Comment prévoyez-vous la dernière étape du processus de dialogue ?

Manifestement, la dernière étape du processus de dialogue, qui demandera du temps, passera par l’organisation d’une conférence nationale ou les représentants de la classe politique et du Hirak auront à débattre un document, dans lequel, ils se reconnaitront puisqu’il exprimera leurs perceptions de la crise et sa solution. Le document débattu, enrichi et approuvé, constituera le pacte fondateur de la deuxième République, et c’est à ce titre que le nouveau président renforcera sa légitimité. Une légitimité populaire dérogeant à la seule référence de la guerre de libération sans cesse ressassée, à l’heure où le peuple, dans un contexte de mondialisation à l’œuvre, aspire à la modernité et la liberté.

Un comité d’experts en droit constitutionnel a été installé par le Président en vue de formuler des propositions pour la révision de la Constitution. La classe politique est divisée sur le sujet. Quel est votre avis sur cette question ?

J’ose espérer, comme suite rationnelle du processus de dialogue que le document du pacte national approuvé guidera le groupe d’experts de juristes désigné pour rédiger l’avant-projet de la constitution. Malheureusement, tel n’est pas le cas. Nous avons écouté le président du groupe, M. Laraba, soutenir que le panel d’experts aura pour tâche uniquement de faire des propositions et non de rédiger un avant-projet de constitution. Alors qu’il croyait rassurer quelques voix de la classe politique qui se sont exprimées, il confirme, cependant, leurs appréhensions. Le président du groupe oublie que nous sommes en face d’une crise politique et sociale profonde qui impose une solution politique. Si durant de longs mois, les tenants du pouvoir ont ferraillé avec le Hirak, dans un climat de tension, comment pense-t-il se défendre de porter l’habit de l’expert modeste commis pour exécuter une mission technique ? Tout observateur avisé ne peut ignorer que les propositions qui seront rédigées « in vitro », biaiseront le débat et pourraient ravaler le système politique existant. Dans ce cadre, quelle crédibilité aura le dialogue initié si, d’un autre côté, un groupe d’experts est chargé de faire des propositions pour la rédaction d’une constitution, avant même que toutes les parties s’entendent sur la sortie de crise. N’en déplaise à certains juristes plus forgés dans le normativisme, il est affirmé que la loi est, avant tout, un acte politique. Il appartient aux acteurs politiques de s’entendre sur le contenu des réformes pour que soit cadré la loi et ses attendus définis.

Les partis politiques du Pacte de l’alternative démocratique (PAD), estiment que la décision de révision constitutionnelle s’inscrit « en droite ligne des manœuvres visant à organiser le sauvetage du système ». Partagez-vous cet avis ?

Il est trop tôt de se prononcer sur la démarche de la révision constitutionnelle. J’avance les raisons suivantes. Dans la première, j’appréhende le problème différemment. Comme le nouveau président a déclaré vouloir chercher une issue à la crise, il peut, à tout moment, réviser sa démarche, se raviser d’une fausse perception, et épouser une direction plus rationnelle, répondant aux préoccupations des partis de l’Alternative démocratique. Vues sous cette optique, les propositions portant révision de la constitution seront soit soumises au débat lors de la Conférence nationale, pour être enrichies ou rejetées. Si c’est le cas, je pense que le doute découle d’une erreur de casting. En revanche, si on voudrait précipiter le processus de révision constitutionnelle sans qu’elle soit débattue par tous ceux qui ont participé au dialogue qui, comme nous l’avons souligné, doit obéir à la logique d’un processus, les lendemains resteront sombres et rien n’augurera une perspective prometteuse pour des centaines de milliers d’humiliés et la stabilité du pays.

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