Après un répit de deux semaines, Ahmed Gaïd Salah reprend ses visites de terrain, synonymes d’allocutions et d’avis, tranchés ou non, sur l’évolution de la situation politique du pays, du mouvement populaire précisément.
Cette fois, il est de nouveau à Ouargla. De nouveau, car il s’agit de sa quatrième visite en moins de deux mois en quatrième région militaire, frontalière d’une Libye bouillonnante.
Depuis le début des manifestations, le chef d’état-major de l’ANP a pris l’habitude de s’exprimer sur la situation sans jamais annoncer des décisions actées, cela n’étant pas constitutionnellement de son ressort, se contentant d’avis et de suggestions que tout le monde sait qu’ils ont valeur d’oracle.
C’est à Ouargla justement qu’il avait suggéré, le 26 mars dernier, l’application de l’article 102 de la constitution. Depuis, on sait ce qu’il est advenu de Bouteflika, de son entourage et de leur cinquième mandat surréaliste. C’est aussi dans cette région qu’il a prononcé son dernier discours en date en rapport avec la situation politique. C’était le 30 avril, lorsqu’il s’en était pris à ceux qui entravaient la solution constitutionnelle et la tenue de la présidentielle du 4 juillet, avant de se rétracter en invitant tout le monde au dialogue « avec les institutions de l’État ».
Le 5 mai, le général de corps d’armée était en visite dans la deuxième région militaire (Ouest) mais, une fois n’est pas coutume, n’a pas évoqué les développements du mouvement populaire et de la crise politique. Il avait laissé le soin au chef de l’État par intérim de le faire par le biais d’un discours à la nation tout ce qu’il y a de plus officiel.
Ce dimanche 5 mai au soir, les Algériens avaient rendez-vous avec une nuit de double doute : l’observation ou non du croissant annonçant le début du ramadhan et ce qu’allait dire Abdelkader Bensalah dans son discours annoncé par les journaux dans la matinée. Les plus optimistes avaient prédit l’annonce de sa démission, comme l’exigeaient les manifestants depuis celle de Bouteflika. Mais il n’en sera rien. Bensalah se contentera de donner un cachet formel à l’appel au dialogue du chef de l’armée, avec cette précision qui a fini par refroidir toutes les ardeurs : le dialogue portera sur l’élection présidentielle qu’il faudra organiser dans les délais, c’est-à-dire le 4-juillet.
La rue a depuis redoublé de détermination et dès le vendredi suivant, elle a définitivement enterré les espoirs de ceux qui misaient sur l’essoufflement de la contestation durant le ramadhan. Les Algériens ont bravé la faim et la chaleur et ils ont remis ça vendredi dernier. L’échec de la présidentielle devenait chaque jour un peu plus indiscutable. Jusqu’en fin d’après-midi de ce dimanche, aucun dépôt n‘était annoncé et il semble bien que ce sera une élection sans candidats ni électeurs, donc à annuler ou à reporter sans attendre.
Une telle décision induira une situation non prévue par la constitution et, à partir du 9 juillet, un vide institutionnel qu’aucun texte ne prévoit non plus. Une situation contre laquelle le chef d’état-major de l’ANP n’a eu de cesse de mettre en garde mais qui aura fini par survenir comme une fatalité. De grandes décisions s’imposent dès maintenant. Serait-ce l’objet de l’allocution très attendue d’Ahmed Gaïd Salah ? À défaut de pouvoir annoncer quoi que ce soit directement, comme l’annulation ou le report de la présidentielle, il pourrait se contenter d’insinuations et de suggestions que le chef de l’État se chargera de transformer en décision actée.
La sortie du chef d’état-major ne pouvait pas mieux tomber, puisqu’elle survient aussi au lendemain d’un appel solennel qui lui a été lancé au commandement de l’ANP pour « nouer un dialogue franc et honnête » avec le mouvement populaire par trois personnalités nationales, Taleb Ibrahimi, Ali-Yahia Abdenour et Rachid Benyelles. Là, Gaïd Salah pourra causer sans gêne, c’est l’armée qui est interpellée directement et il lui appartient, en sa qualité de vice-ministre de la Défense, de rendre la réponse.