Tribune. Disons-le d’ores et déjà, et d’une manière claire : à l’ère de la guerre cybernétique et de l’information massive, et à l’aube de la révolution de l’intelligence artificielle, il serait irresponsable et même dangereux pour la souveraineté nationale, la survie de l’État et la sécurité du peuple de mettre aujourd’hui les rênes de la transition politique ou les structures sensibles de la nouvelle république dans les mains d’hommes de plus de 70 ans.
Au-delà du cancer de la corruption, la crise algérienne est aussi le résultat d’un vieillissement obstiné et arrogant. C’est ce vieillissement de la sphère du pouvoir qui fait qu’on continue aujourd’hui à acheter des sous-marins coûteux et inutiles au lieu d’investir dans l’intelligence artificielle. Ce vieillissement est aussi la raison pour laquelle on continue naïvement à adopter des ruses politiques obsolètes des années 1990 contre des générations qui ont grandi avec l’ère de l’information numérique.
Ce vieillissement est, en partie, la raison pour laquelle les cercles du pouvoir n’arrivent toujours pas à percevoir les solutions que le jeune peuple trouve évidentes, et n’arrivent toujours pas à croire que ce changement générationnel et culturel est fondamentalement irréversible. Il faut se rendre à l’évidence qu’après un certain âge, on perd la capacité à voir l’évidence.
Il me parait crucial aujourd’hui de comprendre qu’au-delà de la spécificité algérienne, certaines grandes mutations dans la société algérienne ne sont que le reflet d’une évolution globale de la jeunesse mondiale. Inventé en 1983, l’internet s’est rapidement propagé au sein du public dans les années 1990. Ceux qui sont nés au cours de cette période ont aujourd’hui entre 15 et 35 ans. Cette génération a une relation unique à l’information et à ses outils de plus en plus accessibles et puissants. Elle a aussi ses propres priorités, ses vulnérabilités, un sens globalisé de liberté, de pacifisme, de justice sociale et de conscience environnementale.
On commence à peine à voir les effets sociétaux des outils technologiques nés il y a 30 ans. Plus alarmant encore, on n’aura même pas le temps de comprendre tout cela, car on vit aujourd’hui le début d’une ère nouvelle déterminante, aussi prometteuse que dangereuse dans l’histoire de l’humanité : l’ère de l’intelligence artificielle ou la capacité des machines à apprendre automatiquement et à simuler les activités intellectuelles humaines les plus sophistiquées. La capacité des ordinateurs à créer, analyser, manipuler et diffuser rapidement une information massive avec une intervention minimale de l’être humain va changer notre façon de vivre, de travailler, de communiquer, de maintenir une économie, de gouverner et de faire la guerre.
L’évolution exponentielle de l’intelligence artificielle va dépasser de loin la capacité d’adaptation des gouvernements à travers le monde. Je consacrerai peut-être une analyse à ce sujet au moment opportun, mais il faudrait juste comprendre ici que les États qui ne s’adaptent pas rapidement à ce bouleversement mettraient leur stabilité et leur existence en péril. L’atout central dans cette adaptation réside dans l’exploitation intelligente et continue du renouvellement générationnel. Mettre une jeunesse éduquée et dynamique aux différents centres névralgiques de décision devient un élément vital pour construire et maintenir un État viable.
La nouvelle république algérienne aura plus que jamais besoin de personnes capables de comprendre les enjeux de ces nouvelles technologies qui ne sont pas seulement dangereuses mais aussi extrêmement faciles à reproduire et à maîtriser, à l’exemple de l’édition génétique et de l’intelligence artificielle. Bien que les deux sont des technologies formidables qui vont bénéficier l’humanité, la première a été classée par le Pentagone américain en 2016 comme arme de destruction massive, et la seconde représente la plus grande menace sécuritaire, politique et économique contemporaine.
Le choc des élections présidentielles américaines de 2016 et le chaos du Brexit européen ne sont que les premières manifestations de ce monde géré par une information massive, automatisée et décentralisée. La vitesse d’avancement de ces technologies fait que seules les nouvelles jeunes générations sont capables de s’y adapter, de réagir instantanément, et d’en comprendre les enjeux et les futures tendances.
Si l’argument technologique et stratégique n’est pas suffisant, Il faudrait peut-être rappeler que la fondation du Mouvement national algérien et le déclenchement de la Révolution étaient des œuvres de jeunes qui n’avaient pas dépassé la quarantaine. Faisons confiance à cette jeunesse. Commençons par donner aux jeunes femmes et hommes de ce peuple les rênes de la transition politique qu’ils ont si bien méritées.
*Abdennour Abbas est Professeur à l’Université du Minnesota, USA
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