Économie

« Il faut une véritable politique des revenus en Algérie »

Après l’Assemblée nationale (APN), le Sénat a adopté jeudi 23 septembre le plan d’action du Premier ministre Aimene Benabderrahmane. Cette adoption survient dans un contexte de grave crise économique en Algérie où le pouvoir d’achat des citoyens a fortement baissé.

Selon une étude dévoilée par l’Association de protection des consommateurs (Apoce), le salaire en Algérie a perdu la moitié de sa valeur en l’espace d’une décennie (2011-2021).

Cette situation ne cesse de s’aggraver avec la dévaluation continue du dinar algérien et la hausse des prix des produits de consommation. Sur ces deux thèmes, le plan d’action du gouvernement a-t-il apporté les réponses qu’il faut ?

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Deux économistes reviennent pour TSA sur les annonces du Premier ministre devant les parlementaires. « Par rapport à ces deux thèmes, qui sont les préoccupations des citoyens, les réponses apportées par le chef de l’Exécutif devant les parlementaires sont implicites car elles sont liées globalement à la démarche consistant à réduire les déséquilibres tant budgétaire que celui du compte courant extérieur », explique le professeur d’économie, Brahim Guendouzi.

« Les finances publiques vont certainement représenter le premier levier sur lequel va agir le gouvernement pour essayer de freiner un tant soit peu la dépréciation de la monnaie nationale mais également la pression inflationniste qui s’affirme de plus en plus », anticipe-t-il.

Pour l’économiste, les intentions de l’Exécutif quant à la concrétisation de ces mesures seront jugées à l’aune des débats sur le projet de loi de Finances pour 2022.

« C’est à ce stade que l’on pourra juger des véritables intentions en matière d’arbitrage dans les dépenses publiques », estime Brahim Guendouzi.

En revanche, le traitement qui sera réservé au dossier relatif à la révision du système des subventions va probablement constituer une avancée en matière de pouvoir d’achat des ménages, considère Brahim Guendouzi.

Pour lui, le « bon bout » par lequel cette question doit être le mieux appréhendée, est celui de l’adoption d’une « véritable politique des revenus en Algérie ».

Au demeurant, ajoute-t-il, l’engagement affirmé concernant le développement humain, va « logiquement confirmer les efforts consentis en matière de transferts sociaux particulièrement dans les domaines de l’éducation, la santé et l’habitat ».

De la nécessité à rendre l’acte d’investir « le plus simple possible »

Dans ses réponses aux parlementaires, M. Benabderrahmane, a affirmé, que le gouvernement a finalisé la révision de la loi relative à l’investissement qui sera présentée dans les semaines à venir à l’APN.

Cette réforme, a-t-il dit, donnera « des signaux forts et des garanties susceptibles d’accroître l’attractivité du pays aux investissements étrangers directs et d’établir des partenariats réels et solides à même de contribuer au développement de l’économie nationale ».

Que vaut une telle annonce dans le contexte d’absence de confiance de la part des investisseurs locaux et étrangers ?

Dans un contexte de morosité économique et sociale, la relance de l’investissement est une priorité absolue afin de placer l’économie nationale dans une trajectoire de croissance, relève le Pr Guendouzi.

Face à ces enjeux, les pouvoirs publics « n’ont d’autres choix que de rendre l’acte d’investir le plus simple possible », juge l’économiste. Comment ? D’abord en redonnant confiance aux investisseurs par un ensemble de mesures destinées à rendre le climat des affaires plus attractif. « La question du financement de l’investissement doit être au centre des préoccupations, notamment par la reconfiguration de la place bancaire devant faciliter l’octroi du crédit bancaire ainsi que d’autres services financiers », recommande l’économiste.

Selon lui, l’action gouvernementale est attendue particulièrement sur ce terrain pour assurer une meilleure visibilité aux investisseurs afin qu’ils puissent apprécier les risques encourus et les rentabilités espérées.

Pour Mohamed Achir, docteur en économie, le plan d’action du gouvernement est « très ambitieux » et présente un « cocktail » de mesures de réformes sectorielles et intersectorielles diverses.

Il souligne la nécessité de moraliser la vie publique politique et économique, la consolidation de l’État de droit et la rénovation de la gouvernance. Pour M. Achir, l’Exécutif ne détaille pas cependant le modus operandi.

« Il me semble justement que ce sont ces derniers soubassements politiques qui ne sont pas encore réunis pour permettre un réel redémarrage de l’économie algérienne. Car le fait économique est avant tout un fait politique et social. Le problème de la dépendance structurelle de l’économie algérienne vis-à-vis de la rente pétrolière et gazière est devenu politique et culturel », analyse-t-il.

L’économie « otage des slogans politiques »

L’économiste est catégorique quant au fait que « sans approche systémique et institutionnelle », les réformes économiques en Algérie ne sauraient produire des résultats notables.

« D’ailleurs c’était le cas même durant les années d’aisance financière », note-t-il. « Le politique, les institutions et la bonne gouvernance doivent construire la base d’un cadre national crédible de planification économique et financière stratégique pour faire sortir le pays de cette impasse économique et sociale », avance-t-il.

Il déplore que l’économie algérienne soit « plus otage des slogans politiques », mais avec « très peu de réalisme » et d’ « efficacité dans l’action ». « Même les statistiques qui sont produites par les différents organismes sont très peu fiables et ne font qu’aggraver la situation », tacle-t-il en pointant l’annonce dans le plan d’action d’un recul de la croissance économique à -4,6 % en 2020.

« Ce taux est loin d’être réel sachant que durant l’année écoulée, l’économie algérienne a été pratiquement paralysée, mis à part le secteur agricole », relève l’économiste.

Il se fait d’ailleurs l’écho d’une enquête du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), selon laquelle les entreprises ont perdu 50 % de leur chiffre d’affaires en 2020 à cause du covid-19.

Selon les secteurs, les transports ont perdu 90 % de chiffre d’affaires, le secteur du bâtiment (BTPH) a recensé plus de  4 000 entreprises ayant déposé le bilan en 2020, selon l’Association générale des entrepreneurs algériens (Agea). « Un million de personnes ont perdu leur emploi en 2020. Pourquoi le gouvernement ne donne-t-il pas des chiffres réels ? », se demande Mohamed Achir.

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