DOSSIER SPÉCIAL. Il y a un an, jour pour jour, le destin de l’Algérie basculait. Dans la matinée du vendredi 22 février 2019, très peu se doutaient que la journée allait être le point de départ d’un mouvement sans égal dans l’histoire des peuples, fait d’une mobilisation constante, de marches bihebdomadaires ininterrompues cinquante-trois semaines durant, un pacifisme à toute épreuve et une seule revendication partagée par tous : le départ du système qui a dirigé le pays plutôt mal que bien depuis l’indépendance.
L’ambiance était depuis quelques jours à la contestation, depuis précisément l’annonce officielle de la candidature du président Bouteflika pour un cinquième mandat, une dizaine de jours plutôt.
Les premières étincelles sont parties de Bordj Bou Arréridj, Chlef, Oran et surtout Kherrata où une grande marche a eu lieu le 16, puis à Khenchela où, le 19, des manifestants avaient commis le sacrilège suprême dans une Algérie qui déifiait son président. Ils avaient arraché et piétiné le portrait géant de Bouteflika qui couvrait une façade de la mairie. C’était la chute symbolique de celui qui a dirigé l’Algérie avec sa fratrie pendant vingt ans. Mais ce n’était pas encore le brasier, du moins tant que la capitale, où les marches populaires sont interdites par décret depuis 2001, n’est pas atteinte.
Pendant toute la semaine, des appels anonymes sont lancés sur les réseaux sociaux pour des manifestations populaires le 22 février après la prière hebdomadaire à travers tout le pays. La grande question était de savoir si les appels allaient être suivis dans la capitale ou pas. L’avenir du président, de son entourage et de tout le pays en dépendait.
Peu avant 14h, la prière hebdomadaire venait de prendre fin à la mosquée Errahma, au quartier de Meissonier, au centre d’Alger et c’est la natte sur les épaules que les fidèles ont scandé les premier slogans anti-Bouteflika et son cinquième mandat surréaliste. Les présents venaient d’assister au moment historique où l’étincelle du hirak a véritablement pris.
Depuis, plus rien n’éteindra le brasier. En une année, le mouvement a porté des revendications, dont la plus constante et la plus partagée est celle du changement radical du système, initié des actions, marqué des points, mais sa plus grande réalisation c’est d’avoir fait de la rue, donc de la population, une voix qui, pour une fois depuis l’indépendance, compte sur la scène nationale.
Même si le pouvoir a pu imposer ses agendas, notamment en décembre dernier lorsqu’il a organisé une élection présidentielle contre l’avis de la rue, il reste que les règles ont bougé, pour ne parler de changement. Depuis une année, le hirak est un acteur important de la vie nationale. Il est dans toutes les déclarations de la classe politique, dans tous les discours du président de la République qui ne manque pas une sortie pour le qualifier de « béni » et s’engager à satisfaire toutes ses revendications. Jusqu’à décréter journée nationale la date de son déclenchement. Sincère conviction ou énième calcul politicien, la question importe peu. Le fait est que le hirak impose le respect et a fait comprendre que c’est de son avenir que dépend celui du projet présidentiel en cours.
La force du hirak est d’abord dans son nom
Pendant des mois, avant l’élection du 12 décembre et même après, on a assisté à un rituel politique dans lequel le pouvoir faisait ses propositions dans la semaine et attendait le vendredi pour connaitre l’avis du hirak, devenu une sorte de parlement à ciel ouvert. Une agora dans laquelle s’exprime la société, avec toutes ses sensibilités, sur tous les sujets. Le gaz de schiste, la loi sur les hydrocarbures, la lutte contre la corruption, les positions de l’Algérie vis-à-vis de certains conflits internationaux, il n’y a pas un point qui n’ait était débattu dans la rue, où la parole a été donnée à tout un chacun.
Par son pacifisme, le hirak a renvoyé au monde une image qu’il ne connaissait pas de l’Algérien. Il a impressionné aussi par sa capacité à mobiliser et sa résistance aux aléas du temps, à la lassitude, aux tentatives qui n’ont pas manqué pour le briser. Il a traversé quatre saisons, le froid glacial de l’hiver et les chaleurs torrides de l’été, la soif et la faim du ramadhan. Il a fait face à la répression, au blocage des axes routiers, notamment vers la capitale, l’arrestation et l’emprisonnement de militants et de manifestants. Il a surtout su éviter le piège mortel de la division et de la manipulation.
Une année après ses débuts, il se porte comme au premier jour, c’est-à-dire bien. La très forte mobilisation qui a marqué la célébration de son premier anniversaire est une énième preuve que personne, contrairement à ce qu’affirmaient certaines analyses hâtives, n’a véritablement tourné le dos au mouvement, y compris lors des creux indéniables de l’été dernier. Les manifestants sont bien revenus en force dans la rue le 5 juillet, le 1er novembre et donc ce 21 février.
La force du hirak est dans son nom, résume admirablement l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer. « Le hirak signifie mouvement, mais un mouvement qui ne dit pas vers quoi ». Sinon vers le changement radical qu’appellent les Algériens de tous leurs vœux.
Tout au long de cette journée, TSA consacre un dossier spécial au Hirak, avec des articles, des analyses, des entretiens…