L’Arabie saoudite et ses alliés ont mis en quarantaine le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme et l’Iran. Cette décision intervient après la tournée de Donald Trump dans la région où il avait stigmatisé le régime de Téhéran. Outre l’enjeu du leadership régional de Ryad, se joue la compétition entre pays pétroliers et pays gaziers.
La décision de l’Arabie saoudite, des Emirats Arabes Unis, de Bahreïn et de l’Egypte d’imposer des sanctions au Qatar, accusé de soutenir le terrorisme et d’être un allié de l’Iran, tranche sur la diplomatie menée habituellement au Proche-Orient, plutôt caractérisée par la discrétion.
Cette mise en quarantaine intervient après la visite de Donald Trump en Arabie saoudite. Lors de son discours, le président américain avait clairement désigné l’Iran comme l’ennemi principal, soutien du terrorisme. Washington a choisi de soutenir l’Arabie saoudite pour qu’il devienne le leader dans la région face à l’ennemi juré qu’est l’Iran, sur fond d’affrontement religieux entre communautés sunnites et shiites.
Une rupture avec la position d’Obama
Cette position rompt avec celle de l’administration Obama qui avait fait du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCG) (regroupant l’Arabie Saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar) son interlocuteur privilégié.
Surtout elle conforte la volonté de leadership du royaume saoudien qui consacre de plus en plus de moyens financiers à son arsenal militaire, comme en atteste la signature d’un contrat d’armement de 110 milliards de dollars lors de la récente visite de Donald Trump, alors même que l’économie du royaume rencontre de sérieuses difficultés pour boucler son budget.
Rien de nouveau
La première conséquence de cette mise en quarantaine de l’émirat est de plonger dans une grave crise diplomatique une région qui n’en avait pas vraiment besoin. Les conflits en Syrie, au Yémen, en Irak, la lutte contre Daesh, sur fond d’attentats terroristes quasi quotidiens, ont déjà transformé le Moyen-Orient en une véritable poudrière.
Car il n’y rien de nouveau dans la politique menée par le Qatar qui justifie une telle offensive de ses voisins. Il est de notoriété publique qu’il entretient de bonnes relations avec l’Iran, notamment parce qu’il y va de sa survie. L’émirat est depuis longtemps critiqué pour aider financièrement le Hezbollah ou encore les Frères musulmans, au grand dam du président égyptien, le général Sissi, qui les a chassés du pouvoir lors d’un coup d’Etat.
Sans compter le financement et la défense de la chaîne de TV Al-Jazeera, dont la ligne éditoriale critique sans complexe nombre de pouvoirs en place dans la région.
La révolution du GNL
La deuxième conséquence touche le marché du gaz. Depuis la révolution de la liquéfaction du gaz naturel (GNL), qui a permis d’être moins dépendant des gazoducs, en le transportant par voie maritime sur des méthaniers à travers le monde, le Qatar en est devenu le premier exportateur mondial.
Moins connue que celle du pétrole, la géopolitique du GNL est devenue un enjeu de premier plan. La demande mondiale de GNL devrait croître de plus de 30% d’ici 2035. Or, le Qatar, avec une vente annuelle de 80 millions de tonnes, représente une part de 30% de l’offre, ce qui lui donne un rôle non négligeable dans l’économie mondiale en matière d’énergie.
Une alternative au pétrole dans la lutte climatique
Beaucoup moins polluant que le pétrole, le gaz naturel reste une alternative importante dans la lutte contre le réchauffement climatique notamment pour la production d’électricité dans les pays asiatiques. Le Japon, la Corée du Sud, l’Inde et la Chine comptent d’ailleurs pour plus de la moitié des exportations gazières du Qatar.
De fait, l’interdiction faite à ses navires, notamment les méthaniers, de naviguer dans les eaux territoriales de l’Arabie saoudite et de ses alliés ne devrait concerner que les livraisons européennes. Le Qatar conserve en effet un accès au détroit d’Ormuz pour livrer ses clients asiatiques, en empruntant les voies qui se trouvent dans les eaux territoriales de l’Iran.
Car l’Iran est également un producteur de gaz naturel, le premier de la région, et le troisième du monde, derrière les Etats-Unis et la Russie. Il partage d’ailleurs avec le Qatar l’exploitation d’un des plus grands gisements gaziers off shore du monde, North Dome (South Pars pour les Iraniens).
Les marchés ne croient pas à une intervention militaire
Si l’Arabie saoudite veut bloquer totalement les livraisons de GNL, il devra l’imposer à l’Iran, ce qui suppose une intervention militaire. Les marchés internationaux de l’énergie n’y croient pas pour le moment, les prix du gaz naturel restant stables. Mais le risque demeure sur fond de rivalité entre pays producteurs de gaz naturel et ceux de pétrole, les premiers pouvant compter sur une demande croissante.
A court terme, toutefois, la pression mise sur le Qatar vise d’abord à lui imposer d’arrêter de financer le terrorisme et de choisir son camp, d’autant qu’il abrite l’une des plus importantes bases de l’armée américaine, dont la principale mission est la lutte contre l’Etat islamique.
Mais elle pourrait paradoxalement le pousser dans les bras de l’Iran, soutenu par la Russie (dont le géant gazier Rosneft a récemment ouvert une partie de son capital au fonds souverain qatari) et la Chine, au nom des intérêts économiques liés à l’exploitation du gaz .
A moins que Donald Trump ait déjà tranché le problème. La rhétorique utilisée par le président américain lors de son discours à Ryad – l’Iran appartient à « l’axe du mal » – est la même que celle utilisée par Georges Bush Junior à l’égard de l’Irak. Elle avait été le préalable à la deuxième guerre du Golfe. Avec le résultat que l’on sait.