CONTRIBUTION. Qu’il fut douloureux ce mois de février 2015 ! Perdre Assia Djebar puis Malek Alloula et avec eux toute une époque.
La voix chaude et rieuse de Malek flotte, volutes de fumée, et son regard gouailleur porté sur le monde nous traverse encore de son étonnement radieux…
Malek Alloula fut un poète, un nouvelliste, un essayiste et un jalon indispensable de la scène littéraire algérienne. Ses œuvres, rares et précieuses, essaiment des décennies de réflexion esthétique et explorent la parole poétique, la photographie, la langue et ses sources, la mémoire.
Ses recueils poétiques ont nom « Villes et autres lieux », « Rêveurs/ sépultures », « Mesures du vent », « Approchant du seuil ils dirent » ou encore « Dans tout ce blanc » : autant d’invitation à faire résonner en son for intérieur une parole toute d’intensité et de retenue.
Sa curiosité du monde le mène à s’intéresser aux travaux de photographes tels Kays Djilali ou Etienne Sved qui lui inspirent de lumineuses réflexions dans les beaux ouvrages publiés chez Barzakh Alger sous le ciel ou encore Alger 1951, un pays dans l’attente et évidemment l’essai iconoclaste Le Harem colonial (dont on souhaiterait une réédition !).
Malek Alloula, un poète aux “oeuvres rares et précieuses”
Rendre hommage à Malek Alloula est un exercice périlleux : la parole révérencieuse est à mille lieux de sa recherche poétique. Elle assèche la source indécise, elle assomme comme un slogan et écrase la solaire complexité du poète.
Concernant Malek Alloula, l’exercice est d’autant plus difficile que sa parole se lève sur un horizon de silence ensablé, venteux et bruissant. À ceux qui aiment les définitions à l’emporte-pièce, les formules sans détours et sans ambiguïté, l’univocité ou la vocifération idéologique, passez votre chemin.
Passez votre chemin, et pourtant… attendez, tentez quand même de mettre vos pas dans les traces de celles du poète marcheur. Aucun tracé définitif, pas d’arrivée triomphante, mais plutôt un cheminement, un lacis enjoué, ouvert et qui musarde dans les méandres des mots.
Lui rendre hommage serait le suivre dans ses obscures recherches et ses lentes germinations. « Approchant du seuil », à jamais suspendue, la voie s’ouvre alors à nous.
Mesurer avec lui la perte du lieu originel, ce terroir oranais, et relever les empreintes ténues de l’absence première dont se nourrit inlassablement sa « langue fantôme ».
Converser avec le poète exige de nous une attention amoureuse aux mots, à leur tessiture, mais également à leur halo de silence qui dilate leur présence au monde.
Car la poésie de Malek Alloula élève et révèle le lecteur : elle le met en demeure par l’étrange beauté de son lexique, elle l’invite avec la générosité du pérégrin à habiter les soupirs de ses vers.
Rendre hommage à Malek Alloula serait le remercier de nous faire advenir à l’état de lecteur, de nous faire naître à nous-même et de nous découvrir « épure sous l’œil nomade des vents ».
La voix du poète nous manque.
*Professeure de lettres modernes