Mohamed Hennad est politologue. Dans cet entretien, il revient sur le 13e vendredi de mobilisation populaire et ses principaux messages.
La mobilisation populaire pour le changement du système ne faiblit pas. Est-ce que c’est à cause des maigres acquis du mouvement populaire ?
Mohamed Hennad, politologue. D’abord, il faut être positif sans être euphorique, évidemment. Mine de rien, il y a eu beaucoup d’acquis. Qui aurait cru à la fin pitoyable qu’a connue Abdelaziz Bouteflika après le carnaval du “cachir“. Qui aurait pu imaginer que Saïd Bouteflika, Mediène et Tartag soient un jour traînés en prison ? Qui aurait cru que le sinistre Ouyahia soit un jour interrogé par un juge ? Même si l’on ignore ce qui s’est réellement passé entre les deux hommes. N’oublions pas qu’il s’agit de deux anciens Premiers ministres, de ministres, de généraux, etc. Il ne manque que des magistrats dont beaucoup ont été la « cheville ouvrière » de la corruption. De tels acquis n’ont pas été obtenus par la simple grâce du commandement militaire mais par la pression de plus en plus pesante que le hirak a pu exercer sur les tenants du pouvoir.
Toutefois, il faut rester vigilant parce que ces acquis risquent d’être éphémères. Car à quoi bon changer des gens si c’est pour les remplacer par d’autres qui risquent d’être pires ? Il faut donc que ce hirak continue et évolue aussi tant il demeure la seule garantie pour aller de l’avant. J’attire l’attention sur le fait que ce qui compte dans ce hirak ce n’est pas seulement les marches qui se déroulent depuis trois mois sans relâche, mais surtout le potentiel de la mobilisation populaire, à telle enseigne que lesdites marches sont devenues en fait des « permanences ». Car au cas où le pouvoir ferait un faux pas, des millions d’Algériens sortiront dans la rue à travers tout le territoire national.
Les manifestants rejettent l’option d’un régime militaire et revendiquent un “Etat civil”. Par quelle voie passe nécessairement l’édification de cet Etat civil ?
Vous savez, cette formule « État civil » est magnifique dans la mesure où elle connote un État qui ne soit ni militaire ni théocratique. Car, de mon point de vue, le spectre d’un État théocratique reste d’actualité malgré tout ce que l’on peut en penser !
S’agissant de la voie que devrait emprunter l’édification de cet État civil, il me semble qu’il n’y en a qu’une seule. Premièrement, le retrait définitif de l’armée de la politique avec, pour garantie, la désignation d’une personnalité civile comme ministre de la Défense nationale. Deuxièmement, un pluralisme effectif, et sans parasites, qui devrait représenter tous le courants politiques et de pensées. Troisièmement, une compétition politique saine et entourée de toutes les garanties nécessaires pour sa validité. Enfin, des mécanismes idoines pour le contrôle institutionnel et populaire.
Mais pour arriver à concrétiser tout cela, il faut que nos politiques et nos partis surtout mettent du leur. Actuellement, minés de l’intérieur, nos partis sont dans un piteux état.
Le maintien des élections du 4 juillet malgré le rejet de la classe politique et du peuple n’est-il pas une aventure dangereuse ?
À vrai dire, l’observateur ne comprend pas pourquoi les tenants du pouvoir tiennent tant à leur projet électoral comme prévu ! Sachant qu’il y a un refus quasi général de cette élection, que ce soit de la part des manifestants, de beaucoup des présidents des APC mais aussi de magistrats qui refusent de donner caution à une élection qui ne pourra être que frauduleuse dans l’état actuel des choses. Sauf si le pouvoir veut que cette élection se déroule dans les casernes ! Force est de constater qu’il y a une tendance forte pour le boycott de cette élection, comme l’atteste le refus de gens crédibles de se porter candidats. S’agit-il, pour les tenants du pouvoir, d’une question de fierté ? Mais cette fierté n’a pas lieu d’être en face de tout un peuple. Il faut se rendre à l’évidence que l’on ne peut jamais faire le poids devant son peuple, notamment quand il s’insurge. À Moins que ça ne soit par calcul dont le but est de se maintenir au pouvoir, quitte à utiliser la violence s’il le faudra !