La société française est plus tolérante qu’une partie de la classe politique sur les questions liées à l’immigration, aux étrangers et au racisme. Ce sont des chiffres précis d’études pointues qui le font ressortir. Le journal Le Monde s’est penché sur ce paradoxe.
Les choses n’ont pas toujours été ainsi. Dans les années 1960, comme on peut le voir dans un documentaire de l’époque cité par le journal, les gens interrogés dans la rue assumaient ouvertement leurs préjugés racistes, par rapport par exemple aux mariages mixtes.
« Ces images semblent issues d’un autre monde », écrit le journal français qui en veut pour preuve la multiplication des mariages mixtes et la raréfaction des propos racistes dans la rue. Mais pas que.
Le sociologue Vincent Tiberj, professeur à l’université de Bordeaux, a établi un indice longitudinal de tolérance (ILT) à partir de l’enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). L’évolution de cet indice est sans appel. La tolérance a « considérablement progressé » et « la diversité est devenue à la fois plus banale et plus acceptable » depuis 30 ans en France.
L’indice de tolérance était de 50 au début des années 1990, 65 à la fin des années 2010 et enfin 68 en 2022, un record.
En 1992, seulement 44 % des Français estimaient que l’immigration était une source d’enrichissement culturel. Ils sont désormais 76 % à le penser. Le soutien au droit de vote des étrangers a aussi monté en flèche (de 34 % en 1984 à 58 % en 2022) tandis que la proportion des Français qui trouvent qu’il y a trop d’immigrés en France a baissé de 69 % en 1988 à 53 % en 2022.
Il est donc indiscutable que « l’opinion sur les immigrés et les minorités s’est améliorée », note la politologue Nonna Mayer, citée par le même journal.
Les différents sondages menés font ressortir que la tolérance avance à pas plus rapides chez les franges de la société instruites (les bacheliers), ce qui amène les chercheurs à imputer la progression à l’amélioration du niveau culturel et d’instruction des Français.
Néanmoins, l’auteur de l’article estime qu’il y a « quelque chose d’étrangement surréaliste » quand on sait qu’un parti d’extrême-droite, le Rassemblement national en l’occurrence, a pu placer à deux reprises sa candidate, Marine Le Pen, au second tour de l’élection présidentielle et dispose du deuxième groupe au Parlement.
Immigration en France : décalage entre la société et une partie de la classe politique
La montée continue des courants d’extrême-droite dans les scrutins électoraux en France est l’autre vérité que les chiffres rendent indéniable. Une montée qui fait triompher le discours de ce courant, désormais repris par la droite traditionnelle qui se « radicalise » elle aussi et fait dans la « surenchère ».
Le paradoxe est en effet frappant. Lorsque le racisme était encore une réalité dans la société française, le Front national (ancêtre du RN), réalisait des scores électoraux rachitiques, mais il triomphe maintenant que les immigrés et toutes les minorités sont de mieux en mieux acceptés dans le pays.
Le journal Le Monde fait parler certains spécialistes qui tentent d’expliquer cette situation paradoxale. La scène politique n’est pas toujours un reflet parfait du monde social et « la connexion électorale n’est jamais une simple courroie de transmission », comme l’explique Vincent Tiberj.
Nicolas Sauger, professeur à Sciences Po, souligne pour sa part que les élus ne perçoivent des opinions de leurs électeurs que « ce qui leur est familier » et que « les prises de position des partis sont souvent, non pas le reflet des opinions des électeurs, mais le fruit des jeux tactiques qui structurent la compétition partisane. »
Vincent Tiberj pointe aussi le changement des déterminants du vote, qui étaient les aspects socio-économiques, puis les valeurs socio-culturelles. Désormais, les électeurs sont de plus en plus nombreux à voter suivant leur position vis-à-vis de questions comme l’Islam ou l’homosexualité.
Si aujourd’hui de telles questions sont devenues déterminantes, c’est par la faute des politiques qui en ont fait des thèmes électoraux. Le politiste Tristan Guerra relève un fait très peu connu. « Il y a quarante ans, les Français qui votaient pour le PS ou le PC étaient très souvent hostiles aux étrangers (…) Mais cette xénophobie du monde ouvrier n’avait pas de traduction politique », analyse-il.
L’autre explication avancée réside dans « l’abstention différentielle ». Les plus âgés, donc ceux issus de l’époque où les préjugés raciaux étaient répandus, sont les plus enclins à considérer le vote comme un devoir citoyen. Alors que les jeunes, plus ouverts à la diversité, sont moins portés sur le vote.
Le Rassemblement national est le parti qui tire le plus profit de cette a abstention différentielle grâce à sa stratégie de polarisation, indique Tristan Guerra, chercheur au CNRS. La frange d’électeurs français moins ouverts au multiculturalisme et qui se sentent en danger n’est pas majoritaire mais elle est « polarisée et idéologisée ».
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