La performance de l’Algérie en matière de prévention du Covid-19 fait débat. Malgré un système de santé sur lequel personne ne pariait au début de la pandémie, des difficultés apparentes à acquérir les quantités suffisantes des différents vaccins sur le marché, le pays connaît une stabilité de la situation sanitaire qui s’inscrit dans la durée.
À voir les chiffres actuels, l’Algérie est en passe de vaincre totalement le virus. Le nombre de contaminations quotidiennes est repassé au-dessous de la barre des 100 cas, pour deux à trois décès par jour.
Comment cela fut-il possible ? Il y a certes cette décision prise à temps de fermer hermétiquement les frontières aériennes, terrestres et maritimes, avec des conditions drastiques pour l’entrée sur le territoire national des personnes rapatriées de l’étranger.
Pour beaucoup de spécialistes, sinon tous, c’est cette fermeté sur les déplacements de et vers l’étranger qui a fait la différence. Mais depuis une semaine, le débat porte sur un autre facteur, insoupçonné jusque-là. Et si les Algériens avaient acquis l’immunité collective ?
Le premier à évoquer une telle éventualité c’est le professeur Noureddine Smaïl, directeur général de l’Institut national de la santé publique (INSP). Depuis, plusieurs spécialistes se sont exprimés sur la question, certains se montrant très prudents en l’absence d’enquêtes approfondies, d’autres appuyant l’idée, chiffres à l’appui.
« Il se peut qu’on ait atteint un certain niveau d’infection qui a fait procurer à beaucoup d’Algériens cette immunité », déclarait le Pr Smail à TSA. L’immunologiste Reda Djidjik, du CHU de Beni Messous (Alger), ne rejette pas totalement la possibilité d’une immunité collective, même s’il dit ne pas comprendre pourquoi elle surviendrait « uniquement chez nous ».
Cela, en reconnaissant que « même quand il y a une recrudescence chez nous, ce n’est pas de la même intensité qu’en Europe ». D’où son refus de s’exprimer. « Il faut des études approfondies », dit-il.
« L’immunité pourrait dépasser 50 % »
Des enquêtes auxquelles appelle un autre spécialiste très impliqué dans la lutte anti-Covid, le Dr Mohamed Bekkat Berkani, président de l’Ordre national des médecins et membre du Comité scientifique du ministère de la Santé.
« C’est un travail scientifique qui doit se faire par les autorités concernées, c’est-à-dire l’Institut national de la santé publique en s’appuyant sur les autorités scientifiques des sociétés savantes et les infectiologues pour faire des enquêtes sur la population générale », plaide-t-il.
Aussi prudent soit-il, Dr Bekkat Berkani insinue que cette immunité collective peut bien avoir été acquise lors de la forte vague de l’été et l’automne 2020.
« Il semblerait que dans notre pays, durant le troisième trimestre de l’année dernière, il y a eu une augmentation de l’épidémie qui a été soit symptomatique, soit asymptomatique, qui nous a valu de nous acheminer vers cette immunité collective probable de par la maladie en elle-même », explique-t-il.
Si ceux qui se sont exprimés jusque-là sur la question sont unanimes à réclamer d’abord des études sérieuses, le Pr Djenouhat, président de la Société algérienne d’immunologie et directeur du laboratoire central de l’hôpital de Rouiba, affirme, lui, qu’une telle enquête a été effectuée par ses services et ses résultats plaident pour l’idée d’une immunité collective des Algériens face au virus.
Djenouhat donne même les premiers chiffres précis. Le professeur et son équipe ont eu recours aux échantillons de sang des donneurs. Sur Radio Sétif, il a révélé vendredi 26 mars que sur un échantillon de 1000 donneurs, il a été constaté que 50 % ont contracté le virus, mais ne présentaient aucun symptôme.
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Au vu du niveau actuel des nouvelles contaminations, le Pr Djenouhat avance même qu’il est possible que l’immunité collective des Algériens dépasse les 50 %.
Les critiques pourraient fuser du fait qu’un échantillon de 1000 donneurs de sang peut ne pas être représentatif vu la taille de la population algérienne globale, mais l’idée est intéressante si elle est étendue à des échantillons plus larges du sang collecté dans les structures de santé.
« L’immunité collective naturelle ? À mon avis très peu probable »
Elle l’est d’autant plus qu’elle émane d’une autorité scientifique inattaquable. Kamel Djenouhat est président d’une société savante, d’immunologie de surcroit.
Toutefois, le Pr Salah Lellou de l’EHU d’Oran ne croit pas que les Algériens aient acquis l’immunité collective face au Covid-19.
« L’immunité collective naturelle ? À mon avis très peu probable. Dans la covid-19, pour parler de l’immunité collective il faut que 70 % de la population soit infectée et on aurait payé un lourd tribut avec un grand nombre de personnes contaminées et une mortalité élevée. Les chiffres enregistrés à ce jour ne plaident pas en faveur. Les enquêtes de séroprévalence pourraient nous indiquer le nombre de pourcentage de la population qui a été infectée par le virus », a expliqué le Professeur Lellou dans un message publié sur Facebook, le 22 mars.
Pour lui, l’Algérie sort de la « deuxième vague on est à son creux, c’est l’évolution naturelle des pandémies ». « Toutes les dispositions qui ont été prises jusqu’à présent ont contribué à atténuer la gravité de l’affection et la transmission du virus, mais rien ne dit qu’on est à l’abri d’une troisième vague, souvenez-vous la première vague chez nous s’est déclarée un mois après celle des pays européens », prévient le pneumologue et chef de service à l’EHU d’Oran.
Dans la rue, les Algériens ont presque abandonné les gestes barrières notamment le port du masque et la distanciation sociale, ce qui inquiète fortement les spécialistes.
Et s’ils ont acquis réellement l’immunité collective face au Covid-19, cela aurait échappé au dispositif de contrôle et de surveillance du ministère de la Santé.
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