Politique

Importation de véhicules d’occasion : un débat d’un autre âge

De tous les dossiers “lourds” soumis à l’appréciation des députés, entre autres la Loi sur les hydrocarbures, la Loi de finances 2020 et la levée de la règle 51/49, c’est l’importation des véhicules d’occasion qui accapare les débats.

Le gouvernement veut limiter l’autorisation aux véhicules de moins de trois ans d’âge et exclure le diesel, tandis que certains députés souhaitent plus de « générosité » et proposent que l’autorisation puisse toucher les véhicules de moins de cinq ans et les très polluants moteurs à gasoil.

Même s’il doit partir au lendemain de la prochaine élection présidentielle, prévue dans un mois, le gouvernement Bedoui continue à prendre des décisions ou à faire adopter des textes qui constitueront autant d’engagements sur lesquels il ne sera pas facile au futur président de revenir.

Mais le problème n’est pas tant dans cette autre projection sur le long terme que dans cette manie qu’ont les autorités algériennes à ne jamais s’attaquer au fond des dossiers. Dans ce cas de figure, il aurait été plus sensé de soulever la problématique globale de la politique de mobilité et des transports dont le véhicule, de tourisme ou utilitaire, n’est qu’un élément.

L’intérêt suscité par le débat tant dans l’hémicycle qu’au sein de la société lève en fait le voile sur une réalité : la voiture est devenue une sorte de produit de première nécessité, en ce sens que pour beaucoup, il s’agit de l’unique moyen de se déplacer.

L’ouverture du marché aux concessionnaires a rendu le véhicule relativement accessible à de larges franges de la population, et la faiblesse du réseau de transports publics aidant, le parc automobile national a explosé en quelques années seulement (il est aujourd’hui estimé à environ six millions d’unités). Pour une facture plutôt salée, atteignant un pic de 6,3 milliards de dollars en 2014. Ce à quoi il faut ajouter les frais d’importation de la pièce de rechange et les faramineuses subventions qui maintiennent les carburants à des prix très bas.

Avec l’argent du pétrole coulant à flot, l’Etat a pu un temps couvrir sa propre défaillance en matière de transports. Mais depuis cette année 2014 justement, l’obsession des gouvernements successifs est de retarder l’échéance de l’épuisement des réserves de change qui fondent à un rythme d’environ vingt milliards de dollars par an. L’idée était d’abord de fabriquer les véhicules localement, mais les usines de montage installées dans la précipitation -et souvent dans l’opacité- se sont avéré une forme déguisée de l’importation. En mai dernier, le gouvernement Bedoui a cru trouver la panacée en annonçant la levée de l’interdiction qui frappe l’importation des véhicules d’occasion, à charge pour l’acquéreur de trouver les devises nécessaires, quitte à faire un pied de nez à la légalité.

Aucune prévision chiffrée n’a été avancée, mais le gouvernement espère faire une belle coupe dans la facture réservée à l’importation des collections SKD/CKD, du reste freinée par une limitation drastique des quotas accordés à chaque marque. L’objectif est aussi d’amener les assembleurs à baisser leurs prix, en plus des dividendes que le gouvernement, nommé dans les conditions que l’on sait, pouvait récolter en termes de popularité.

Le projet a un peu trop vite mûri et la disposition devrait entrer en application dans moins de deux mois, sans que plusieurs aspects ne soient pris en compte, dont la flambée promise aux monnaies étrangères sur le marché parallèle, le développement de réseaux de spéculation, l’encombrement du réseau routier déjà plus que saturé, l’aggravation de la facture de subvention de l’énergie…

Pendant des décennies, l’État algérien a fait le juste contraire de ce qu’il fallait entreprendre comme politique de mobilité : beaucoup de facilitations pour le véhicule et peu d’intérêt pour les réseaux de transport public. Des efforts ont été faits pendant les années du pétrole cher, avec notamment la livraison des premières lignes du métro d’Alger, la réalisation de tramways dans plusieurs villes et la modernisation de certaines grandes lignes de chemins de fer, mais beaucoup reste à faire.

Car même lorsque les infrastructures existent, la qualité (confort, sécurité, ponctualité…) fait défaut, faisant du véhicule particulier la seule garantie de se déplacer sans trop de tracas pour une grande partie de la population. Il est peut-être temps d’inverser la tendance en faisant du déplacement en voiture un luxe et du transport en commun un service disponible et accessible à tous.

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