Brahim Guendouzi est professeur d’économie à l’Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou (UMMTO). Dans cet entretien à TSA, il analyse les raisons de la dégradation du pouvoir d’achat des Algériens ces derniers mois.
On assiste aujourd’hui à l’accélération de la détérioration du pouvoir d’achat des ménages algériens. Pourquoi ?
Elle est due à la conjugaison de plusieurs facteurs. La situation économique du pays qui s’est dégradée à partir de juin 2014 avec le retournement brutal du marché pétrolier international, ayant fait chuter de plus de la moitié les revenus extérieurs de l’Algérie et la fiscalité pétrolière.
Un problème auquel est venue se greffer la pandémie de covid-19 depuis mars 2020 avec des retombées énormes sur le plan économique et social.
Les effets de la récession économique de 2020 se ressentent par une baisse de l’activité économique, des pertes d’emplois, une faiblesse des revenus et une contraction de la consommation.
Par ailleurs, la poussée inflationniste de ces derniers mois s’explique aussi par une désorganisation des circuits de distribution et la spéculation, la dépréciation de la monnaie nationale par rapport aux deux principales devises que sont le dollar US et l’euro, ainsi que la hausse sensible des prix de plusieurs produits de base sur le marché international accompagnée d’une augmentation des tarifs du transport maritime.
Le système des subventions, tel qu’il fonctionne actuellement, a-t-il montré ses limites ?
La préoccupation des pouvoirs publics va vers le ciblage des subventions, afin de faire bénéficier beaucoup plus les couches sociales les plus défavorisées et en même temps alléger un tant soit peu la charge des transferts sociaux sur le budget de l’État.
De plus, la nature des besoins des ménages a évolué ce qui rend difficile une approche en termes de revenu minimum, surtout qu’il existe déjà une inégalité dans la répartition des revenus dans la société algérienne.
En définitive, même en ayant la sauvegarde du pouvoir d’achat des citoyens parmi les priorités, si entretemps l’économie nationale demeure dans un état lamentable, faute d’une bonne gouvernance, il serait alors difficile d’allier des objectifs sociaux ambitieux avec des résultats économiques modestes.
Des pistes sont avancées : augmenter prioritairement les salaires pour juguler la hausse des prix ou réguler le marché et laisser les salaires tels quels. Ou bien, 3e option : augmenter les salaires et réguler les prix. Quelle est l’option qui vous paraît la plus intéressante ?
Lorsqu’une tension inflationniste apparaît mesurée par l’indice des prix à la consommation, généralement les pouvoirs publics agissent sur les facteurs qui l’ont favorisée, soit réduire un fort déficit budgétaire ou agir sur les éléments de la balance des paiements. La Banque centrale actionne à son tour la politique monétaire en essayant de moduler le volume de la masse monétaire en circulation. Dans ce cas, l’on est dans une hausse de prix conjoncturelle.
Cependant, il peut arriver que cette tension inflationniste perdure dans le temps et que les mesures adoptées tant dans le domaine budgétaire que monétaire ou encore se rapportant au compte courant extérieur, n’aient pas donné de résultats probants, alors l’économie nationale s’installe dans un cycle inflationniste de type structurel, c’est-à-dire une spirale s’autoalimentant soit par les coûts, soit par la demande.
C’est à ce moment qu’un ajustement des salaires par rapport au niveau des prix s’impose pour préserver le pouvoir d’achat des ménages.
La situation est-elle alarmante ?
Dans la situation actuelle qui caractérise l’évolution de l’économie algérienne, le taux d’inflation sur une base annuelle tel qu’il est calculé par l’ONS (Office national des statistiques, ndlr) n’a pas atteint un seuil alarmant comparativement à la période des années 1990 où le taux était à deux chiffres, et qu’une augmentation de certains salaires ne serait pas la réponse idoine.
Pourtant, il y a actuellement un problème de fond qui se pose en relation avec le pouvoir d’achat. Il faut peut-être chercher les causes en dehors du schéma classique que nous venons de décrire succinctement.
Le premier constat qui est fait est celui des inégalités des revenus (revenus salariaux et non salariaux). De plus, la fiscalité pénalise beaucoup plus les salariés du fait que l’impôt sur le revenu (IRG) est payé à la source.
Il existe également des disparités salariales entre les mêmes qualifications, entre le secteur privé et le secteur public, à l’intérieur d’une même branche ou d’un même secteur économique, etc. D’autant plus que les rémunérations ne sont pas indexées sur la productivité.
Il n’y a pas une équité devant l’impôt puisque toutes les personnes qui sont dans l’informel échappent à la fiscalité.