Près de trois semaines après le début des premières manifestations contre le cinquième mandat, le mouvement de contestation ne faiblit pas. De semaine en semaine, les marches deviennent plus impressionnantes et les jeunes font preuve d’ingéniosité dans l’organisation et la mobilisation.
Le succès de la marche du 8 mars à Alger a mis tout le monde d’accord. Y compris le pouvoir et ses porte-voix qui, unanimement, saluent le caractère pacifique du mouvement et même la légitimité de ses revendications. C’est à une situation unique dans les annales qu’on assiste. Un président fortement contesté, qui soutient presque les manifestations mais qui s’accroche et ne veut rien céder sur l’essentiel.
Même s’il ne le dit pas, le pouvoir s’en tient pour l’instant à un argument qui lui permet de continuer à ignorer la principale revendication de la rue et tenter d’imposer sa propre feuille de route : il n’y a pas d’interlocuteur avec qui discuter.
C’est sans doute le principal point fort du mouvement populaire. Il n’a aucune connotation idéologique ou partisane, n’a pas de leader et porte des revendications claires qui font l’unanimité, soit le renoncement de Bouteflika à sa candidature, une constitution démocratique, des élections libres, le démantèlement du système politique en place…
L’absence de personnalités connues ou d’organisation qui encadre le mouvement rend de facto vaine toute tentative d’infiltration ou de manipulation. Un tel encadrement pouvait être utile pour l’organisation des actions publiques, la définition des objectifs ou la confection des slogans, or le mouvement arrive à fonctionner spontanément et même à prendre de l’ampleur de semaine en semaine. Toutes les espérances sont même dépassées.
C’est mieux ainsi, dirait le manifestant lambda. Même le plus rodé et le plus ancré des partis n’aurait pas pu garantir une marche de plus d’un million de manifestants à Alger sans le moindre heurt. Les vieilles recettes du régime se trouvent de fait castrées. La menace ou la tentation sont inopérantes du fait de l’absence de leader identifié.
Le mouvement s’est aussi immunisé contre le risque de récupération partisane, synonyme de division inéluctable. Contrairement à ce que pense Louisa Hanoune, les jeunes qui huent les leaders des partis lors des marches, ne sont pas instrumentalisés. Ils expriment juste leur souhait de garder leur révolte loin de toute chapelle partisane et de la préserver des divisions et de tout risque de dévoiement de ses objectifs.
Le seul vis-à-vis du pouvoir c’est la population qui, sur les réseaux sociaux ou dans la rue, exprime ses revendications d’une manière tranchée. Des revendications « scellées et non négociables », qui rappellent la ligne de conduite des Arouch de Kabylie en 2001. A la différence de ce qui se passe ces jours-ci, le mouvement citoyen de 2001 avait des leaders et des porte-paroles connus. Il était même doté d’une organisation horizontale et d’un système de représentation. La suite, on la connaît. L’abandon du principe du consensus en avait permis ensuite l’ouverture d’un dialogue direct avec le pouvoir qui a fini par saper le mouvement par ses vieilles méthodes.
L’absence de leader ou d’encadrement partisan rend le mouvement de 2019 plus fort. L’unique inconvénient reste la prolifération des initiatives individuelles comme cet appel à la désobéissance civile qui ne fait pas l’unanimité.
Au lendemain de la deuxième grande journée de protestation contre le cinquième mandat, le pouvoir avait fait une proposition de sortie de crise, comprenant notamment l’organisation d’une présidentielle anticipée et l’engagement de profondes réformes. Cette semaine, il s’apprêterait à en émettre une deuxième – Ramtane Lamamra est favori pour diriger un gouvernement de transition- mais toujours en solo, ce qui risque de lui ôter toute chance de contenter la rue.
Par ailleurs, le mouvement de contestation n’est certes pas structuré et ne dispose pas de leaders déclarés. Mais les jeunes et les femmes qui marchent se reconnaissent dans les porte-parole naturels du mouvement que sont toutes les personnalités au passé militant irréprochable, comme l’avocat Mustapha Bouchachi.
Dire qu’il n’y pas d’interlocuteur pour discuter est un argument qui ne tient donc pas la route. Les initiatives unilatérales du pouvoir ne font que renforcer le sentiment qu’il cherche à mettre fin à la contestation sans rien céder de concret. Une fuite en avant qui ne fait que durcir le mouvement.