L’instruction a fait l’effet d’une douche froide. Sommées par le gouvernement de n’enseigner que le programme national en arabe, des écoles privées algériennes qui dispensaient jusqu’ici le programme français, se retrouvent désormais dans le désarroi.
Et par ricochet de nombreux parents d’élèves dont l’inquiétude est étalée à travers de nombreuses interrogations sur les réseaux sociaux. Quelques jours seulement après le rappel à l’ordre du gouvernement, ni les responsables de ces écoles, ni les parents d’élèves ne savent à quel saint se vouer.
« Ce n’est pas à la veille d’une rentrée scolaire qu’on décide de changer », fulmine Wassila, la quarantaine, dont les deux enfants inscrits au collège, ont jusqu’ici, hormis l’histoire et la géographie, fait leur cursus scolaire dans la langue de Molière.
« Le problème se pose surtout pour les classes d’examen, le brevet d’enseignement moyen et le Bac, d’autant que les élèves ont avancé dans le programme en français », dit-elle.
Alors qu’elles sont régies par un texte datant de 1991 et qui leur fait obligation d’enseigner le programme national en arabe, certaines écoles, profitant du volume horaire « optionnel » qui leur est accordé dans le cahier des charges, dispensent aussi le programme français.
Un double programme non autorisé, mais toléré par le gouvernement. « À vrai dire, cette instruction n’est pas une nouveauté. Le programme national est obligatoire. Mais au fil des années, et face au laxisme de l’État, certaines écoles ont adopté le programme français », rappelle Wassila.
« ll y a des écoles qui ne jouent pas le jeu. Elles n’enseignent pas le programme national », soutient, pour sa part, Omar dont la femme est enseignante dans une de ces écoles sises à la banlieue Est d’Alger.
« Et certains parents ont acheté beaucoup de livres, parfois ramenés de France, et ont dépensé beaucoup d’argent » pour assurer la scolarité de leurs enfants dans ces écoles, dit-il.
Et selon lui, les parents d’élèves qui préfèrent le programme français le font souvent en perspective d’envoyer leur progéniture poursuivre leurs études à l’étranger, particulièrement en France.
Au terme visiblement d’une enquête conduite par l’inspection du ministère de l’Éducation, il s’est révélé que finalement certaines écoles dispensaient l’essentiel des matières en langue française.
La brutalité avec laquelle cette décision interpelle alors que la sagesse aurait voulu de ne pas l’appliquer avec effet rétroactif pour ne pas pénaliser les élèves.
Français à l’école en Algérie : les élèves victimes d’enjeux politiques ?
Mais est-ce l’unique motivation lorsqu’on connaît le contexte des tensions politiques entre l’Algérie et la France ? Pour certains observateurs, l’instruction du gouvernement n’est pas sans lien avec la nouvelle politique linguistique visant à remplacer progressivement le français par l’anglais à l’école.
« L’interdiction ne date pas d’aujourd’hui. Toutes les écoles sous tutelle du ministère de l’Éducation doivent enseigner le programme national. Les écoles qui ont outrepassé la loi ont été donc tolérées. Et tous les ministres qui se sont succédé le savaient. Pourquoi aujourd’hui ? Pour quelle motivation ? Je l’ignore », soutient, Ahmed Tessa, pédagogue.
« Un bon pédagogue peut faire cohabiter les deux programmes avec harmonie. Mais il faut admettre que certaines écoles sont dirigées par des personnes qui n’ont rien à avoir avec l’éducation, elles le font pour l’argent. Aussi, elles constituent un bon filon pour certains pour envoyer leurs enfants à l’étranger. Je ne défends pas le ministre, il ne fait qu’appliquer le texte. Mais y a de l’exagération. Il y a même une mafia des cours payants », pointe-t-il du doigt.
Après avoir toléré la dispense du programme français, le gouvernement se réveille brutalement pour l’interdire, sans prendre en compte l’avenir des élèves concernés.
Quelles solutions pour les parents, maintenant que les autorités semblent décidées à remettre de l’ordre ? « Les parents n’ont qu’à s’organiser. Ils doivent négocier, discuter », suggère Ahmed Tessa. « Ya certaines écoles qui ont négocié, elles vont continuer le programme », assure Wassila, tandis que Omar raconte qu’un de ses proches a trouvé la parade en dispensant des cours par visioconférence. « Mais ce n’est pas tout le monde qui dispose de ces moyens », précise-t-il.
En attendant une hypothétique solution à un problème dont les premières victimes sont les élèves, sacrifiées sur l’autel de considérations politiques et idéologiques qui les dépassent, le ministre de l’Éducation nationale, Abdelhakim Belabed a rappelé la veille de la rentrée scolaire que le « ministère gardera un œil sur ces écoles ».
« La loi est claire, aucun débat là-dessus. Chaque école est tenue d’appliquer le programme national, c’est dans le cahier des charges. Tout autre programme n’est pas autorisé », a-t-il dit.
Seule concession : des écoles dédiées exclusivement à l’enseignement des langues. « On est à la veille de la promulgation de nouveaux textes qui vont préciser les modalités d’agrément de ces écoles. On encourage l’enseignement privé, mais dans le respect de la loi. Il y aura des facilités mais aussi des garde-fous », a annoncé le ministre, invité de la télévision nationale, sans préciser la nature de ces garde-fous.
Des poursuites pénales et des fermetures seraient envisagées contre les responsables dont les écoles ne se seraient pas conformées à la Loi. L’Algérie compte près de 600 écoles privées.