Français et Américains se sont presque simultanément plaints du climat des affaires en Algérie, ciblant particulièrement l’instabilité de l’arsenal juridique qui encadre l’investissement et l’activité économique.
Jeudi, l’ambassadeur des États-Unis à Alger, John Desrocher, a dressé un tableau peu reluisant des conditions de l’investissement en Algérie, pointant notamment les « restrictions à l’importation, les lourdeurs bureaucratiques et les difficultés de transfert monétaire ».
Le diplomate déplore surtout le manque de prévisibilité des décisions économiques du gouvernement algérien.
Vendredi 13 octobre, c’est Jean-Louis Levet, responsable français en charge de la coopération technologique et industrielle entre la France et l’Algérie, qui s’exprime devant des journalistes algériens, pour dire presque la même chose.
Jean-Louis Levet estime qu’il y a plus grave que les tracasseries bureaucratiques : la “réglementation mouvante” du commerce et de l’industrie.
Voilà donc un problème qui met d’accord les principaux partenaires économiques du pays. L’instabilité juridique est sans doute l’un des facteurs qui expliquent le peu d’engouement des opérateurs étrangers à investir dans un pays qui offre pourtant des avantages comparatifs immenses.
L’ambassadeur américain cite un exemple difficilement contestable en évoquant les tâtonnements du gouvernement dans sa quête d’encadrer les importations.
En quelques mois seulement, le pays a changé trois fois sa réglementation en la matière, instaurant d’abord un système de quotas et de licences sur certaines marchandises, établissant ensuite une longue liste de produits interdits à l’importation avant d’opter pour une très forte taxation, appelée « droit additionnel de sauvegarde » qui devrait entrer en vigueur incessamment.
Il y a quelques mois, c’est l’industrie automobile naissante qui a connu des changements intempestifs de la réglementation la régissant, que ce soit pour le nombre de constructeurs retenus (la liste a été changée plusieurs fois) ou pour la fiscalité à lui appliquer (TVA à taux réduit, exonération puis réinstauration de cette taxe…).
Dans le secteur des hydrocarbures, l’introduction de la taxe sur les profits exceptionnels (TPE) a donné lieu à plusieurs litiges ayant débouché sur des procédures d’arbitrage international entre la partie algérienne et de grands groupes pétroliers mondiaux.
La sécurité est nécessaire mais pas suffisante
Contrairement à ce que semblent croire les autorités algériennes, la sécurité et la stabilité politique et institutionnelle ne sont pas plus importantes aux yeux des investisseurs que les autres facteurs, parmi lesquels donc une réglementation fixe qui ne change pas au gré des intérêts des uns ou des humeurs des autres.
La relance économique à travers l’encouragement de l’investissement créateur de richesses c’est l’objectif déclaré de tous les gouvernements qui se sont succédé à la gestion des affaires du pays depuis au moins trois décennies.
Mais la part des produits hors hydrocarbures dans les exportations demeure rachitique et le budget de l’État repose essentiellement sur la fiscalité pétrolière, malgré les professions de foi sans cesse renouvelées.
Les trois milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures attendus pour la fin de cette année 2018 (l’équivalent de deux milliards a été déjà exporté durant les huit premiers mois de l’année, selon les chiffres des douanes) seraient un record absolu, si bien sûr la prévision est réalisée.
Pourtant, l’Algérie dispose d’avantages comparatifs à faire se bousculer au portillon les investisseurs les plus frileux. Une stabilité politique et sécuritaire, une situation stratégique aux portes de l’Europe et de l’Afrique, un immense territoire, vierge de surcroît, un marché au fort potentiel, des infrastructures modernes, une énergie et des matières premières disponibles et peu coûteuses, une main d’œuvre bon marché…
Le Maroc et la Tunisie font nettement mieux
En dépit de tout cela, le marché algérien peine à attirer les capitaux étrangers, qui préfèrent d’autres destinations parfois pas très lointaines, puisque la Tunisie et surtout le Maroc font nettement mieux sans disposer des mêmes atouts que l’Algérie.
Les 26 milliards de dollars de stock d’investissements directs étrangers (IDE) en Algérie ne pèsent pas lourd face aux performances d’autres pays de la région Mena comme la Turquie (200 milliards), l’Égypte (100 milliards), le Maroc (50 milliards) ou la Tunisie (35 milliards de dollars).
Le pays a beaucoup fait pour booster son attractivité, notamment en investissant massivement dans les infrastructures (autoroutes, ports et aéroports, barrages et transferts, centrales électriques…), mais il a oublié l’essentiel, soit l’amélioration du climat des affaires à travers une profonde réforme bancaire, fiscale et administrative.
Car le manque de visibilité induit par l’instabilité de la législation n’est pas l’unique facteur qui fait fuir les capitaux étrangers. La règle dite « 51/49 » qui stipule que le capital de toute société de droit algérien doit être détenu à hauteur d’au moins 51% par des nationaux, la fiscalité considérée comme l’une des plus lourdes au monde (65% de taux d’imposition globale, contre 40% de moyenne mondiale), les conditions drastiques de la Banque d’Algérie pour le transfert des dividendes, sont autant d’embûches qui expliquent le peu d’engouement des étrangers à investir le marché algérien.
Le blocage de Cevital, un mauvais signal
À cela s’ajoutent un système bancaire archaïque (le paiement électronique en est encore à ses balbutiements), des procédures administratives compliquées et surtout cette difficulté inexplicable que rencontrent les hommes d’affaires étrangers pour obtenir le visa d’entrée en Algérie.
Le dernier exemple en date remonte à deux jours. Jeudi dernier, soit au moment même où l’ambassadeur des États-Unis critiquait ouvertement le climat des affaires en Algérie, le journal El Khabar rapportait que le consulat d’Algérie à Amman (Jordanie) a refusé d’octroyer le visa à une délégation représentant un grand groupe pharmaceutique mondial.
Et comme pour mieux signifier aux porteurs de capitaux de rester chez eux ou d’aller voir ailleurs, la bureaucratie algérienne n’épargne même pas les nationaux.
Cevital, premier exportateur privé algérien, voit ses projets bloqués les uns après les autres, sans aucun fondement légal comme c’est le cas de l’usine de trituration de graines oléagineuses que le groupe projette d’installer près de ses raffineries actuelles à Bejaïa. Et ce n’est pas le cas de blocage du genre, c’est seulement le plus médiatisé.