Les 28 pays de l’Union européenne (UE) se sont réunis à Sofia, Bulgarie, les 16 et 17 mai, dans le cadre d’un sommet dédié au renforcement de leurs liens avec les pays des Balkans (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro, Macédoine et Kosovo) où la Russie tente d’étendre son influence.
Ce sommet a aussi été l’occasion pour l’UE d’afficher un front commun face aux Etats-Unis, dont le président Donald Trump, a récemment pris des décisions qualifiée par l’Elysée de « tests de souveraineté grandeur réelle pour l’Europe », notamment sur l’Iran et leurs relations commerciales.
Il semblerait que Trump soit en train de faire d’avantage prendre conscience aux Européens du fait que leur suivisme habituel vis-à-vis du grand allié outre-Atlantique et leur manque d’unité sur des questions de politiques étrangères soient, en fin de compte, plus préjudiciables que bénéfiques à leurs intérêts collectifs.
L’accord sur le nucléaire iranien ou les relations commerciales transatlantiques sont les derniers exemples en date, mais bien d’autres sujets pourraient aussi être cités, tels que les conflits en Irak et en Syrie, ou les relations avec la Russie après la crise ukrainienne de 2014, qui montrent que les États-Unis ne font que rarement cas des intérêts et de l’avis de leurs alliés européens.
Concernant la question palestinienne, c’est la première fois que les réactions américaines et européennes, aux tueries répétées de l’occupant israélien commises depuis fin-mars 2018 à Gaza, ont été aussi divergentes.
Peut-être les Européens ont-ils une chance ici de compenser le parti pris américain pour Israël et de répondre à l’urgence de trouver une solution juste et durable dans ce conflit ?
Nucléaire iranien : un « test de souveraineté économique »
Donald Trump a retiré, le 8 mai dernier, les États-Unis de l’accord sur le programme nucléaire iranien, signé en 2015 par l’Iran, les 5 membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne.
Le président américain avait exigé des pays signataires, notamment européens, de renégocier cet accord pour en prolonger la durée au-delà de 2025, afin d’y intégrer les capacités balistiques iraniennes.
Tous les pays signataires s’étaient opposés aux exigences américaines, arguant du fait que tant que l’Iran respectait ses engagements, ce qui a été confirmé à plusieurs reprises par l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA), nul besoin d’annuler ou d’amender cet accord.
Angela Merkel, la chancelière allemande, a cependant estimé ce jeudi 17 mai que « chacun dans l’UE partage le point de vue que l’accord n’est pas parfait, mais que nous devrions rester dans cet accord et poursuivre des négociations avec l’Iran sur d’autres sujets, comme les missiles balistiques ».
Mais au-delà de l’enjeu sécuritaire, l’autre grand enjeu pour les Européens est économique et commercial. En se retirant de l’accord, les États-Unis ont réactivié leurs sanctions économiques contre l’Iran, interdisant à ce pays d’effectuer ses transactions commerciales internationales en dollar, et défendant à toute entreprise faisant des affaires avec l’Iran d’obtenir des contrats aux États-Unis.
Cela représente un risque énorme pour les grandes entreprises européennes qui ont déjà signé des contrats de plusieurs milliards de dollars avec l’Iran. Les Européens contestent le caractère extraterritorial des sanctions américaines et ont annoncé avoir activé, vendredi 18 mai, une loi dite “de blocage” qui permet aux entreprises et tribunaux européens de ne pas se soumettre à des réglementations sur des sanctions prises par des pays tiers.
La Commission européenne a également lancé une procédure pour permettre à la Banque européenne d’investissement (BEI) de soutenir les investissements européens en Iran, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.
USA-Europe : concurrents ou adversaires?
Le président américain avait mis en place le 8 mars dernier, des droits de douanes pour les exportations européennes à hauteur de 25% pour l’acier et de 10% pour l’aluminium, qui ont été repoussés au 1er juin prochain, si les Européens ne réduisent pas d’ici là leurs barrières tarifaires sur les exportations de voitures américaines en Europe.
Les Européens avaient rétorqué en menaçant d’introduire des droits de douanes de 25% sur une liste de produits américains, et le président américain de renchérir en menaçant de taxer les exportations de voitures européennes.
Les 28 pays européens ont maintenu un front uni à l’occasion du sommet UE-Balkans en faisant savoir que Trump devait abandonner ses menaces sur leurs exportations d’acier et d’aluminium s’il voulait discuter du degré de taxation sur les voitures américaines.
Les 28 précisent que ceci ne se ferait que dans le cadre d’un accord commercial, et en échange d’un accès aux marchés publics américains.
Toujours sur les relations commerciales, les États-Unis sont en train de faire pression sur certains pays européens et la Commission européenne pour empêcher la construction du gazoduc Nord Stream 2 (NS2) qui alimenterait l’Europe en gaz russe, dont les approvisionnements sont moins chers et plus fiables que le gaz liquéfié américain devant-être transporté par mer.
Le 15 mars dernier, un groupe de 39 sénateurs démocrates et républicains a envoyé une lettre au département américain du Trésor, demandant à l’administration Trump d’empêcher la construction du NS2 pour éviter que « la Russie ne soit en mesure d’influencer l’Europe ».
Les alliés des États-Unis en Europe, tels que la Pologne, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, ou encore l’Ukraine et la Moldavie sont tous opposés au projet NS2 arguant du fait que celui-ci est d’avantage politique que commercial.
La Commission européenne a aussi fini par s’opposer au projet, mais elle dit ne pas disposer des outils légaux pour empêcher la concrétisation d’un investissement qui relève du secteur privé.
Au mépris des pressions des Etats-Unis et de leurs alliés en Europe, l’Allemagne est devenue le 3 mai le premier pays de l’UE à commencer la construction de la partie du projet gazier se situant sur son territoire, avant même que la Suède et la Finlande n’accordent une autorisation formelle de laisser passer le gazoduc par leurs eaux territoriales.
Irak, Syrie, Ukraine : un manque d’unité et d’indépendance préjudiciable à l’Europe
En matière de politique étrangère, l’Europe fait souvent preuve d’un manque d’unité, d’où découle un manque d’indépendance, vis-à-vis des États-Unis, ce qui non seulement lui occasionne des dommages directs mais en plus réduit sa capacité à être un acteur original et constructif dans les conflits internationaux, comme ce fût le cas en Irak, en Syrie et en Ukraine.
En 2003, le manque d’unité de l’Europe à la veille de l’invasion de l’Irak avait conduit des pays comme le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie à suivre les États-Unis dans leur aventure déstabilisatrice au Moyen-Orient.
En retour, ils ont eu les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005, un effroyable conflit confessionnel en Irak d’où naîtra plus tard l’organisation terroriste de l’État islamique qui commettra de multiples attentats à travers l’Europe.
En Syrie, le Royaume-Uni et la France, soutenu par les États-Unis, avaient fait le choix en 2013 de procurer des armes à des organisations de l’opposition au gouvernement répressif de Bachar el Assad.
Selon Lakhdar Brahimi, l’envoyé spécial de l’ONU et de la Ligue arabe à l’époque, cela n’avait fait que prolonger ce conflit sanglant, puisque ces mêmes pays avaient, en 2012, ignoré un plan de sortie de crise proposé par la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU qui avait en plus été accepté par la Syrie. Qu’ont-eu les Européens en retour ? Encore du terrorisme en France, en Belgique, au Royaume-Uni et un afflux massif de réfugiés syriens à leurs frontières orientales, en Grèce et en Europe de l’est.
La crise ukrainienne a aussi été une occasion ratée pour l’UE de s’affirmer comme un acteur indépendant vis-à-vis des Etats-Unis. Alors que le gouvernement de l’ex-président ukrainien, Viktor Ianoukovytch, était sur le point de signer, en novembre 2013, un accord d’association avec l’UE, il décide d’y renoncer sous la pression de la Russie.
Des manifestations pro-européennes de plusieurs mois s’ensuivent et aboutissent à la destitution de Viktor Ianoukovytch en février 2014. Dans la foulée un gouvernement pro-européen est nommé dont l’un des premiers actes a été d’élaborer un projet pour abroger une loi sur les langues régionales qui conférait au russe un statut officiel dans 13 des 27 régions de l’Ukraine.
Cela déclenche une flambée de violence dans le pays notamment dans les régions russophones de l’est. La Crimée, région russophone qui abrite une base navale russe à Sebastopol, demande à la Russie d’intervenir militairement avant de voter son rattachement à celle-ci par référendum en mars 2014.
Alors que la crise ukrainienne concernait en premier lieu l’Europe, l’Ukraine et la Russie en tant que pays voisin, les Etats-Unis y ont pris les premiers rôles dès le début et ont d’ailleurs été les interlocuteurs principaux de l’Ukraine et de la Russie.
Après le rattachement de la Crimée à la Russie, les Etats-Unis ont aussi été les premiers à instaurer, en mars 2014, des sanctions notamment commerciales contre la Russie. L’Union européenne y emboitera le pas en instaurant à son tour des sanctions commerciales vis-à-vis de la Russie, quelques jours seulement après les Américains.
En représailles, la Russie a décrété un embargo alimentaire sur les exportations agricoles et alimentaires européennes vers son marché. Seulement ces sanctions se révèleront être plus préjudiciables pour l’UE que pour la Russie.
Les agriculteurs et éleveurs européens ont subi des pertes sèches que l’UE a dû compenser par des allocations à ces producteurs alors que la Russie a mis à profit les sanctions pour devenir auto-suffisante en produits agricoles.
L’UE a d’ailleurs été remplacée par le Brésil, la Chine et la Turquie sur le marché russe et elle a de ce fait perdu un marché pour ses exportations agricoles, car la Russie, même en cas de levée des sanctions, n’en aura plus besoin.
Peut-être que si elle n’avait pas choisi de laisser les Etats-Unis agir en première ligne, l’UE aurait pu éviter une telle détérioration de la situation dans cette crise ukrainienne qui s’est déroulée à ces frontières orientales.
Le conflit israélo-palestinien : une chance de corriger l’histoire
D’habitude, Européens et Américains, partagent des positions assez similaires vis-à-vis d’Israël et de la Palestine, renvoyant souvent dos à dos l’agresseur et la victime. Ces positions sont souvent assez prudentes lorsqu’à chaque agression israélienne contre Gaza comme en 2008, 2012 et 2014, ces positions font référence au « droit d’Israël à se défendre » et « à l’usage disproportionné de la force ».
Cette fois-ci les pays européens tels que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont non seulement unanimement condamné les meurtres de masse commis par l’armée israélienne contre les manifestants palestiniens à Gaza, mais ils ont cette fois appelé à une enquête indépendante sur ce massacre, faisant d’ailleurs écho à la volonté des Palestiniens de présenter un dossier à la Cour pénale internationale contre Israël pour crimes de guerres.
Cette fois, la position européenne, somme toute mesurée face à l’ampleur du drame, tranche avec celle des Etats-Unis. Il faut dire que Donald Trump, qui a habitué le monde avec son parti-pris flagrant pour Israël, a rendu cela plus évident.
L’administration Trump avait imputé la responsabilité des tueries israéliennes au Hamas tout en répétant le slogan, maintenant galvaudé, sur « le droit d’Israël à se défendre ».
Cette fois les Européens ont dérogé à leur alignement quasi-systématique avec la politique étrangère des Etats-Unis, dans un dossier où l’Autorité palestinienne leur dénie toute légitimité à jouer un quelconque rôle de médiateur après l’ouverture de l’ambassade américaine à Jérusalem.
Sur cette question, l’Europe pourrait compenser cette perte de légitimité américaine pour rééquilibrer le rapport de force et jouer un rôle qui soit un peu plus en phase avec l’urgence de trouver une solution juste à ce conflit.