Fâcher Israël ou adopter une ligne différente de celle de l’Arabie saoudite, tel est le casse-tête qui se pose au Maroc depuis que le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane a entrepris un rapprochement inattendu avec l’Iran.
Le Maroc est l’un des pays arabes et musulmans qui se sont totalement alignés sur les thèses occidentales et israéliennes concernant l’Iran. Il a suivi en cela, comme d’ailleurs sur de nombreuses questions régionales et internationales, l’Arabie Saoudite.
La première rupture des relations diplomatiques entre l’Iran et le Maroc remonte au début des années 1980, à l’initiative des dirigeants de la République islamique qui reprochaient au roi Hassan II d’avoir accueilli et accordé l’asile au shah déchu, Mohamed Reza Pahlevi.
Rétablies au début des années 1990, les relations entre les deux pays ont de nouveau été rompues en 2009, cette fois à l’initiative de Rabat pour un motif en lien direct avec les monarchies du Golfe. Le Maroc avait expliqué sa décision par “l’ingérence” de Téhéran dans les affaires intérieures de Bahreïn et le prosélytisme chiite sur le territoire du Maroc.
En 2014, les deux pays ont dépassé leur brouille, mais pas pour très longtemps. Rabat a pris en 2018 la décision de rompre de nouveau avec Téhéran après une série d’accusations farfelues de soutien de l’Iran au Front Polisario par l’intermédiaire du Hezbollah libanais. Rabat a accusé l’organisation chiite libanaise de fournir des armes au Polisario et d’entraîner ses combattants sur le territoire algérien.
Mais c’était cousu de fil blanc. Les accusations marocaines avaient fusé alors que les tensions entre l’Iran d’un côté et les Occidentaux, Israël et l’Arabie Saoudite de l’autre, étaient à leur paroxysme.
Rabat visait en fait un triple objectif : faire preuve de fidélité à l’égard de l’Arabie Saoudite, diaboliser le Polisario aux yeux des Occidentaux et tenter de diaboliser l’Algérie en essayant de la présenter comme un allié stratégique de l’Iran au Maghreb, comme ont toujours tenté de le faire les Marocains.
De tous les pays arabes et musulmans qui ont pris le parti des Saoudiens, d’Israël et de l’Occident, le Maroc est sans doute celui qui a poussé au plus loin son inimitié envers l’Iran.
Israël – Iran – Arabie Saoudite : la posture gênée de la diplomatie marocaine
Un antagonisme qui devait logiquement s’exacerber après la normalisation des relations entre le Maroc et Israël en décembre 2020.
En franchissant le pas, contre la décision de l’ancien président américain Donald Trump de reconnaître la “souveraineté marocaine” sur le Sahara occidental, Rabat avait en quelque sorte brûlé ses vaisseaux concernant sa relation avec Téhéran, sachant que le rapprochement avec l’Iran est, pour Tel-Aviv, une ligne rouge que ne devraient pas franchir ses alliés, anciens ou nouveaux.
Depuis les accords de normalisation, le Maroc a multiplié les actes qui rendent un renversement de sa relation avec l’Iran impossible, comme en août 2021, lorsque le ministre israélien des affaires étrangères de l’époque, Yair Lapid, a exprimé, à partir du territoire marocain, les inquiétudes de son pays devant le prétendu rapprochement entre Téhéran et Alger.
Cet épisode, en plus d’autres provocations, est l’une des causes de la décision de l’Algérie de rompre ses relations avec le Maroc, toujours en août 2021.
Les plans et la stratégie du Maroc seront néanmoins chamboulés en mars 2023, lorsque, à la surprise générale, Riyad et Téhéran ont annoncé être parvenus à un accord sous l’égide de la Chine, pour le rétablissement de leurs relations.
Selon toute vraisemblance, le Maroc n’a pas été mis dans la confidence et a pris connaissance de la nouvelle comme le reste du monde à travers la presse. Mais ce n’est pas fini. Presque simultanément, l’Arabie Saoudite a joué un autre mauvais tour à la diplomatie marocaine en engageant une opération de réconciliation avec la Syrie.
Là aussi, le Maroc s’est montré pendant 12 ans, soit depuis la mise au ban de la Syrie, très zélé dans son refus de tout retour à la normale avec le pays de Bachar Al-Assad.
Le royaume de Mohamed VI se retrouve depuis le printemps dernier dans une posture très inconfortable et un sérieux dilemme se pose à sa diplomatie : se discréditer en changeant de position au gré des décisions de l’Arabie Saoudite où prendre le risque de fâcher ce puissant allié et protecteur.
S’il ne fâche pas son vieil allié saoudien, le Maroc risque d’être contraint de contrarier son nouvel ami israélien. Avec ce dernier, Rabat a franchi des étapes importantes notamment dans la coopération militaire et sécuritaire.
Les derniers actes en date sont la nomination d’un attaché militaire israélien à Rabat, le 17 juillet, et l’annonce, le même jour, de la reconnaissance par le gouvernement israélien de la “souveraineté marocaine” sur les territoires occupés du Sahara occidental.
La diplomatie marocaine n’ignore pas que tout rapprochement avec l’Iran ne sera pas sans conséquence sur celui en cours avec Israël.
D’où son silence gêné après l’appel du pied, fin juin dernier, du chef de la diplomatie iranienne pour le rétablissement des relations entre Téhéran et Rabat.