Demandez donc à n’importe quel avocat ou communicant digne de ce nom l’importance de la sémantique, leur réponse sera unanime : oui, le choix des mots est crucial. Pour qui sait les manier, leur utilisation s’avère précieuse et être une arme efficace quand il s’agit de convaincre, d’enfoncer le clou ou au contraire, d’atténuer des drames.
Cette manipulation linguistique n’est pas nouvelle. Il n’y a qu’à se remémorer le passé, pas si lointain d’ailleurs. Les autorités françaises ont longtemps préféré le terme d’« événements » – le glissant jusque dans les manuels scolaires – à celui de « guerre » pour tenter de minimiser ce qui se jouait en Algérie : l’avenir d’une indépendance conquise dans la douleur.
De la douleur, la Palestine en a une nouvelle fois éprouvée vendredi 30 mars. Seize Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne et plus de 1.400 autres blessés lors d’un mouvement de protestation le long de la barrière frontalière séparant la bande de Gaza d’Israël. Ces rassemblements, qui devraient se poursuivre pendant six semaines selon Le Monde, se font pour exiger le « droit au retour » des réfugiés palestiniens et pour dénoncer le blocus imposé par Israël à Gaza.
Un complaisant euphémisme
Tandis que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s’est félicité de cette répression sanguinaire, les médias français ont accordé leur violon pour relater ce drame. En faisant preuve, tout du moins dans la titraille, d’un euphémisme déconcertant.
RTL, comme bon nombre d’autres médias, avait opté pour le terme de « heurts meurtriers », et la radio publique France Info soulignait le « face-à-face meurtrier ». Ce dimanche 1er avril, l’AFP a évoqué des « affrontements » précisant toujours le fait qu’ils ont été « meurtriers » (tout de même), quand le journal 20minutes soulignait des « tensions entre Gaza et Israël ».
Cette homogénéité dans le choix des mots désarçonne et tord le cou, d’un seul trait, à l’impartialité et l’illusoire objectivité des médias. Pourtant, la langue française est suffisamment riche en vocabulaire. Alors, pourquoi ne pas « appeler un chat un chat », comme le veut l’expression consacrée, et parler de massacre ? « Action de tuer des gens sans défense », selon le dictionnaire Larousse. N’est-ce pas ce qui s’est passé, vendredi dernier, du côté de Gaza ?
De cet enjeu des mots, le journaliste français Sébastien Fontenelle publiait un tweet éloquent samedi 31 mars. « Je te rappelle que si tu veux devenir journaliste, tu dois aussi apprendre à confectionner des titres qui ne fâchent pas la direction de la rédaction », écrit-il, avant de citer plusieurs exemples de ce qui est apprécié ou non par la hiérarchie.
Je te rappelle que si tu veux devenir journaliste, tu dois aussi apprendre à confectionner des titres qui ne fâchent pas la direction de la rédaction. pic.twitter.com/B1qLTCFc7x
— Sébastien Fontenelle (@vivelefeu) March 31, 2018
En 2014, l’Observatoire des médias Acrimed s’interrogeait sur le parti pris du traitement médiatique dans les offensives israéliennes contre Gaza. Dénonçant tour à tour une information biaisée, incomplète ou orientée, l’article s’achevait sur ce constat : « On en oublierait presque en effet que Jérusalem, la Cisjordanie et Gaza sont, selon la légalité internationale, sous occupation, que les colonies israéliennes s’étendent chaque jour un peu plus, que plus de 5.000 prisonniers politiques sont détenus par Israël, que plusieurs millions de réfugiés palestiniens vivent toujours dans des camps et que le peuple palestinien continue de revendiquer ses droits, consacrés par la légalité internationale. Ne serait-il pas de la responsabilité des médias de nous en informer ? »
Évidemment, il serait simpliste de dresser un tableau trop sombre de la situation et ce serait bien le comble de se fourvoyer dans un manque de nuance, celui-là même qui manque globalement aux médias français sur le traitement de ce que l’on pourrait nommer sans fausse ferveur ni excès « la tuerie de Gaza ». Certes, des journalistes produisent des informations de qualité sur la question épineuse du conflit israélo-palestinien, mais ce travail semble se noyer dans le reste de l’information, devenant presque invisible, comme une pincée de sel jetée dans la marmite.
Israël, un pays intouchable
Si le ton à l’égard de l’État hébreu est si précautionneux, il faut peut-être y voir la crainte d’être rangé dans la catégorie des complotistes ou des adversaires du peuple juif. « Critiquer l’Exécutif israélien, ce n’est pas être antisémite », soufflait pourtant le chercheur Pascal Boniface, targué comme tel par l’ancien Premier ministre Manuel Valls.
Le fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques – mis au ban de la sphère médiatique depuis la publication de son ouvrage en 2003, « Est-il permis de critiquer Israël ? » – avait d’ailleurs reconnu lors de la sortie en janvier dernier d’« Antisémite », son dernier livre au titre-choc, que « beaucoup de journalistes ont dit qu’il s’agissait d’un sujet polémique et qu’ils étaient gênés pour en parler ».
Il dénonçait également dans un tweet le deux poids deux mesures régnant en France : « Tu écris un livre violemment anti musulman, on dit que tu es courageux. Tu écris un livre factuel dénonçant l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme pour faire taire ceux qui critiquent le gouvernement israélien, on dit que tu es polémique. »
Israël, la chasse gardée de Manuel Valls
N’en déplaise à ceux qui considèrent que l’on peut parler de tout, Israël est un sujet peu servi à la table des médias, quitte à ce que les journalistes jettent un mouchoir sur leur liberté de ton. La critique de l’État hébreu est une chasse gardée. Et son meilleur chien de garde reste Manuel Valls.
L’ancien Premier ministre, qui n’a jamais caché son attachement à Israël à travers de multiples déclarations, veut rayer de la carte médiatique quiconque ne ferait pas preuve d’obédience à l’égard de l’État hébreu. Pour l’actuel député, l’équation est simple : qui n’est pas sioniste est antisémite. La thèse abracadabrante est d’ailleurs devenue « quasi officielle » aux yeux de l’État français, dévoilait Médiapart en juin 2016.
Fort de ce succès, Manuel Valls garde ainsi en ligne de mire Pascal Boniface dont il a cherché à fermer son institut, révèle L’Express, tandis qu’il veut mettre au pilon Dieudonné, qu’il a poursuivi en justice, un humoriste très controversé pour ses critiques sur Israël. Invité d’une émission matinale sur BFM TV en janvier dernier, l’ancien chef du gouvernement Hollande lançait cette phrase aussi polémique qu’édifiante sur sa pensée : « Tout le monde sait que Jérusalem est la capitale d’Israël et personne ne va le remettre en cause. »
L’homme politique a bien tenté de se reprendre, et affirmait que cela était une réalité « de fait ». Mais son obsession pour la défense d’Israël est aussi grande que son combat contre l’islam qu’il juge être « un problème ». Mais, à vrai dire, Valls n’est que le reflet d’une vérité, peut-être dérangeante ou trop passée sous silence : le sionisme est intimement lié au pouvoir français.
Une vérité que dévoile le journaliste d’investigation Charles Onana dans son livre « Palestine, le malaise français ». Il y raconte, entre autres, comment le ministre français des Affaires étrangères à l’époque, Robert Schuman, militant sioniste, a été celui qui a œuvré à la reconnaissance d’Israël par la France en 1949. Ou la manière dont le gouvernement français, quelques mois avant la déclaration Balfour de 1917, a apporté son soutien à la création de colonies israélites en Palestine.