Politique

Issaad Mabrouk, SG du Syndicat des magistrats : « Cette histoire de téléphone n’est pas le monopole de la justice »

Les juges n’ont pas subi de pressions pour ouvrir les dossiers de corruption. L’avis est d’Issaad Mabrouk, nouveau président du Syndicat national des magistrats (SNM).

« Il n’y a aucune instruction là-dessus malgré l’existence de beaucoup de rumeurs. Le syndicat a contacté les collègues chargés des dossiers qui n’ont pas confirmé l’existence d’intervention ou d’instruction. Nous suivons la situation de près et si nous découvrons quoi que ce soit, nous le dénoncerons quoi qu’il nous en coûte », s’est-il engagé dans une interview à El Khabar, publiée ce lundi 27 mai.

Il n’a toutefois pas écarté l’existence « des ordres par téléphone ». « Cette histoire de téléphone n’est pas le monopole de la justice. C’est une méthode usée dans la gestion des affaires publiques dans tous les domaines. Mais, la valeur de la justice fait que toutes les formes d’instruction soient refusées. Le mode de travail du parquet permet, et par la force de la loi, l’usage du téléphone pour donner des directives et des orientations du haut en bas, selon le principe de la dépendance et de la hiérarchie (…) le procureur général est tenu d’appliquer la politique pénale préparée par le ministre de la Justice et lui présenter des rapports périodiques », a-t-il expliqué citant les articles 30 et 33 du code de procédure pénale.

« La faille est dans le texte législatif, pas chez le juge qui est obligé de l’appliquer. Il faut donc critiquer le législateur, pas le juge qui est victime de textes inadaptés aux demandes de la société(…) Cela n’empêche pas l’existence d’interventions qui influent sur le cours du dossier judiciaire venant de parties officielles ou non officielles. Les juges tentent de s’y opposer dans les limites ce qui leur est permis faute de protection véritable. Certains ont payé le prix fort en raison de leur attachement à leur indépendance, de leur refus des instructions, particulièrement de la démission morale du Conseil supérieur de magistrature (CSM) et du règne de l’Inspection générale (du ministère de la Justice) devenue juge et partie », a-t-il dénoncé.

Le SNM appelle, selon lui, tous les magistrats à s’attacher à leurs prérogatives constitutionnelles, sans se soucier des « influences extérieures ». Il a rassuré que le syndicat sera le bouclier qui protégera les magistrats « de tous les tyrans officiels ou populistes ».

Le SG du SNM a exprimé des réserves à propos des actes publics de protestation des juges en soutien au hirak les appelant à faire preuve de neutralité et d’être à égale distance de toutes les catégories de la société.

Le retour de Belkacem Zeghmati comme nouveau procureur général d’Alger, après avoir été écarté en 2015 en raison du dossier de Chakib Khelil, est, selon lui, une autre preuve de la fragilité des juges en Algérie, « en raison de la domination du pouvoir exécutif qui nomme, démis, mute, promeut et sanctionne ».

Il a estimé que Belkacem Zeghmati a toute la compétence et le charisme pour traiter les grands et complexes dossiers. « Il n’y a aucune gêne si son retour est lié à cela, mais si cela entre dans le cadre du repositionnement des ailes (du pouvoir), ça sera une humiliation à sa personne et à la justice », a-t-il prévenu.

« La Haute Cour de l’État est un décor pour leurrer les naïfs »

Issaad Mabrouk a critiqué la mise à l’écart du procureur de la République du tribunal de Sidi M’Hamed El Bey Khaled et le procureur général près la Cour d’Alger Khatir Benaïssa, remplacés respectivement par Fayçal Bendassa et Belkacem Zeghmati.

« Il est illogique et immoral que le procureur de la République et le procureur général apprennent la nouvelle de leur fin de fonction par téléphone alors qu’ils étaient occupés à auditionner et à interroger deux anciens Premiers ministres et cinq ex-ministres. Cela incite à beaucoup d’interrogations sur la raison, la méthode, le moment et la partie qui est derrière cela et ajoute aux doutes sur la croyance en la justice indépendante », a-t-il dénoncé.

El Bey Khaled et Khatir Benaïssa ont été limogés par le chef d’État par intérim Abdelkader Bensalah le 16 mai 2019. La Présidence de la République n’a donné aucune explication à cette décision.

Le président du SNM a estimé, par ailleurs, que la Haute Cour de l’État, instituée par l’article 177 de la Constitution, n’est qu’un simple décor pour « le prestige et pour leurrer les naïfs ». Il a rappelé que cette juridiction, chargée de juger le président de la République pour des actes de « haute trahison » et le Premier ministre pour « crimes et délits », « commis dans l’exercice de leurs fonctions », n’a jamais été installée depuis son institution en 2016.

Il a précisé que les deux anciens Premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia sont poursuivis actuellement en application de l’article 573 du code de procédure pénale qui autorise les actes de justice contre les membres du gouvernement.

« Tout le monde doit respecter le rôle du pouvoir judiciaire »

Revenant sur la déclaration du SNM du 11 mai 2019 dénonçant « l’image stéréotypée » des juges considérés « comme un appareil fonctionnant sur ordre quelques fois, et convocations en d’autres fois », Issaad Mabrouk a estimé que ce message était adressé à tous les Algériens, pas forcément au vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, « même s’il en est pas exclu, car nous refusons toute utilisation de la justice par quelque partie que ce soit ».

« Tout le monde doit respecter le rôle du pouvoir judiciaire et garantir tous les moyens nécessaires pour une justice indépendante qui ne recourt qu’à la loi pour que la société lui fasse confiance », a-t-il soutenu.

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