Tribune. Je suis née et j’ai grandi en France. Je suis binationale. « Immigrée », pour certains. Même si ce terme conviendrait bien plus à mes parents qui ont quitté l’Algérie au début des années 1980. J’ai toujours baigné dans ma culture d’origine. Mes parents m’ont toujours parlé de leur vie passée de l’autre côté de la Méditerranée. Leur jeunesse, leurs traditions. Chaque été, j’ai eu la chance d’y aller pour rendre visite à mes oncles, mes tantes, mes cousins et surtout à ma grand-mère, aujourd’hui disparue.
Comme beaucoup de jeunes gens issus de la diaspora, j’ai su ce que traversait le pays dans les années 1990. Je savais qu’il ne fallait plus y mettre les pieds pour un temps. Parce que je regardais les informations, que j’écoutais les conversations. Comme beaucoup d’Algériens, je n’ai connu qu’un seul président, Abdelaziz Bouteflika. Enfant, on me le présentait comme un sauveur. Comme celui grâce à qui le terrorisme a été éradiqué sur le territoire. Ou du moins, en partie.
J’ai redécouvert l’Algérie à l’adolescence, après plusieurs années d’éloignement. J’observais beaucoup. Je discutais aussi. Avec le temps, j’ai pris conscience des difficultés auxquelles était confronté le peuple au quotidien. Le chômage, les bas salaires, le manque d’infrastructures, de loisirs. C’était assez paradoxal car on n’avait de cesse de me louer le potentiel incroyable de l’Algérie d’un point de vue économique, touristique. Mais petit à petit, des membres de ma famille ont commencé à quitter la terre qui les a vus naître. Ils sont devenus des « harragas », comme on dit. C’est ainsi qu’au fil de mes séjours, j’ai pris la mesure de la crise dans laquelle s’enfonçait le pays.
J’ai eu un premier électrochoc en 2008, lorsque j’ai appris que le président, qui achevait son deuxième mandat, avait fait voter une réforme de la Constitution pour en briguer un troisième. « Ça craint », m’étais-je dit. Car j’avais compris à ce moment-là que c’était parti pour durer. Lorsqu’il est victime d’un AVC en 2013, j’ai de la peine. Comme j’en ai pour tout être humain dans la détresse. Mais la peine laisse place à l’étonnement quand je découvre qu’en dépit de son état de santé, l’homme se présente comme candidat pour un quatrième mandat. « Il fait sa Dalida, il veut mourir sur scène », avais-je un jour lancé à un ami.
En réalité j’avais conscience qu’Abdelaziz Bouteflika n’était plus apte à diriger l’Algérie. Et pour tout vous dire, ça me rendait triste de constater qu’on instrumentalisait un malade. Alors comme vous cet hiver, je suis tombée des nues en apprenant que son nom était proposé pour un cinquième mandat. Était-ce bien raisonnable ?
La suite, on la connaît. Et je vais être honnête : je vous ai sous-estimé. J’ai sous-estimé le peuple algérien dans sa capacité à dire « STOP ». J’avais en tête le souvenir du printemps arabe, fin 2010. J’ai vraiment cru qu’il se passerait quelque chose, en vain. « Ils doivent encore être traumatisés par la décennie noire », avais-je pensé. Mais jusqu’à quand ?
Et puis soudain, le 22 février, tout a changé. Sur les réseaux sociaux, devant la télévision, je découvre ces images qui font le tour du monde. Wilaya par wilaya, vous êtes sortis, souriants, joyeux, pacifiques pour exprimer votre ras-le-bol. Votre rêve d’une Algérie meilleure. En France, à la maison, je suis frustrée de ne pas pouvoir en être. Je ressens comme un appel, une euphorie. J’ai très envie de vous rejoindre. Et à la fois, je ne suis pas certaine d’être légitime pour vous accompagner. Car ces années de détresse, c’est bien vous qui les avez vécues, pas moi. Et puis j’ai aussi un peu peur. Peur de l’instabilité dans laquelle risque de s’engouffrer le pays. Peur d’un retour à l’obscurantisme. Mais j’ai fini par franchir le pas, pour voir tout ça de mes propres yeux.
J’ai marché pour la première fois lors du 10e vendredi de mobilisation. Abdelaziz Bouteflika avait déjà démissionné, grâce à vous. Mais vous êtes sortis et vous sortez encore. Pour remettre les compteurs à zéro. Chaque semaine, avec la même énergie, la même détermination, les mêmes espoirs. Même quand les journées de jeûne sont rudes et que la chaleur est insupportable. Lorsque je vous entends chanter « Libérez l’Algérie », j’ai des frissons et parfois, ma gorge se noue. Personne ne peut pas rester insensible devant une telle ferveur. Mais je dois vous l’avouer, les manifestants qui me touchent le plus, sont ceux qui restent silencieux.
Vous les avez sans doute déjà remarqués. Certains ont l’âge de mes parents, d’autres un peu plus. Ils ne défilent pas, ou peu. Ils restent statiques sur le trottoir et se contentent de brandir des affiches griffonnées au feutre. Leurs visages sont graves. Leur silence en dit long sur leur vécu.
J’apprécie aussi la bienveillance qui règne dans les cortèges. La façon dont on me protège et me guide lorsque la situation devient trop tendue. La manière dont les gilets orange assurent le bon déroulé des événements, sans qu’on leur ait demandé de le faire. J’aime aussi ces moments hors du temps où des manifestants et des policiers se souhaitent « Saha ftorek » en fin de journée. Le sourire de certains agents des forces spéciales lorsque des cordons de sécurité sont brisés.
Je ne suis pas « surprise » par ces comportements car je vous connais. Il y a un peu de mes proches dans chacun d’entre vous. Mais la façon dont vous réunissez toutes ces ondes positives chaque semaine me remplit d’optimisme.
J’ignore jusqu’à quand votre engagement durera. Il paraît que vous ne « lâcherez rien ». Et je veux bien vous croire.
*Une Algérienne de France
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