Chronique livresque. Ancien commandant à la Wilaya IV, Lakhdar Bouregaa est un baroudeur qui en a gros sur le cœur. Dans son livre « Témoin sur l’assassinat de la Révolution »*, il « assassine » allègrement tous les chefs qu’il a connus à l’exception de ceux de sa wilaya (Bougara et Bounaama notamment) ainsi qu’Ait Ahmed et Krim Belkacem.
La première partie de l’ouvrage est consacrée à sa vie au maquis qui ne diffère guère de celle des autres moudjahidine. La deuxième partie est plus vivante, car elle met en scène des personnalités nationales sur lesquelles il porte un jugement sévère à la mesure de sa colère. C’est à cette partie que nous allons nous intéresser.
« Boudiaf nous est apparu comme un homme banal, stupide… »
Nous sommes en 1962, Boumediène avance à grands pas à la tête des 30 000 hommes lourdement équipés de l’armée des frontières. Ces soldats qui n’ont pas connu la guerre de libération étaient décidés de passer comme un rouleau compresseur sur les moudjahidine des maquis pour prendre le pouvoir.
Boudiaf, accompagné du colonel Sadek Dehiles, arrive à Berouaghia, fief de la wilaya IV. Selon Bouregaa il proposa aux responsables de cette wilaya de constituer un front unique avec le groupe de Tizi Ouzou pour faire face au groupe de Tlemcen dirigé par Ben Bella et Boumediène. Il reçut un refus net de la part du commandement de cette wilaya.
Au nom de la neutralité et pour ne pas mettre de l’’huile sur le feu, les responsables de cette wilaya ne matchèrent pas avec lui. Il rencontra alors l’un des chefs, Bousmaha, en tête-à-tête. Celui-ci resta sur ses positions. Boudiaf qui n’a pu rallier les combattants de la IV partira la mort dans l’âme.
L’occasion pour Bouregaa de le fustiger dans son ouvrage : « Boudiaf perdit notre confiance. L’auréole qui entourait le personnage avait disparu. Le mythe s’était effondré. Il nous est apparu comme un homme banal, stupide, de peu d’envergure, sans relief. En effet, y a- t-il plus stupide que de vouloir rencontrer en privé Bousmaha, qui faisait partie d’une direction solidaire ».
Terrifiante cette outrance contre le père de la Révolution qui ne méritait pas autant d’insultes gratuites. Qu’a fait de grave Boudiaf pour mériter pareil jugement à part vouloir les rallier pour combattre Ben Bella et Boumediène qu’il tenait pour des imposteurs. Lui reproche-t-il de ne pas faire le mort comme tant d’autres ? Passons.
« Benkhedda n’a aucune envergure »
Mais qu’on se console, Boudiaf ne sera pas la seule victime, Benkhedda, le pieux et pacifique président du GPRA n’échappera pas à sa foudre alors qu’il n’avait demandé qu’un soutien de la wilaya IV pour l’organisation d’un meeting populaire.
Après avoir loué sa sagesse qui lui a permis de ne pas attiser le conflit, il se défoule sur lui : « Benkhedda a toutefois montré que lui non plus n’avait guère d’envergure. Son attitude était indigne d’un homme d’Etat. Il n’avait pas pris de décisions quand il était au sommet de la hiérarchie et qu’il avait encore les rênes en main. Il aurait pu démettre tous les belligérants, notamment les membres de l’état-major. Une fois qu’il a perdu le contrôle du pouvoir, ses ordres sont venus tardifs et hésitants, au point où les aventuriers s’en sont moqués, les considérant comme nuls et non avenus. ».
Qu’il est injuste Bouregaa qui n’a pas connu de l’intérieur les luttes au sein du GPRA pour atténuer ses propos et rendre hommage à la sagesse de celui qu’il pourfend. En vérité Benkhedda, tout comme Abbes avant lui, n’étaient que des présidents de consensus, d’apparat. Le vrai pouvoir était divisé entre les 3 B (Boussouf, Belkacem (Krim) et Bentobbal) d’un côté et de l’autre l’état-major de l’armée des frontières avec à sa tête Boumediène appuyé par le sanguin Ali Mendjli et Kaid Ahmed. Benkhedda était seul, désespérément seul.
Bouregaa avait-il oublié que Benkhedda (ainsi que son ami Saad Dahlab) ont été évacués par les 3 B du deuxième CCE en un claquement de doigt ? Au mépris de toute logique. Cette logique qui reposait sur les armes. Injuste, nous semble-t-il, le fougueux Bouregaa.
Il quittera l’armée malgré l’insistance de Boumediène qu’il n’aime guère, mais qu’il épargne relativement, du moins il n’a pas droit à des attaques. Le coup d’Etat de Boumediène « un calculateur froid, cynique », est l’occasion pour lui de montrer combien le président déchu est décevant : « Ben Bella était un personnage romantique, sentimental, facilement trompé par les apparences. Il était superficiel, n’allant jamais au fond des choses ».
Un fait, quoi. Mais l’accusation la plus grave, il la réserve à un commandant qu’il exècre plus que Boudiaf, le bien nommé commandant Azzedine qui a la même image de baroudeur que lui. Rétroviseur. Accusé d’avoir trempé dans la tentative de coup d’Etat de Zbiri, Bouregaa est incarcéré puis interrogé par le président de la Cour Mohamed Benhamed Abdelghani.
« Il sortit alors une lettre. Il l’étala devant lui, et commença à en lire des extraits : tu as rencontré Krim Belkacem. Vous avez eu de longues discussions sur l’avenir de son organisation. Après une pause, il ajouta : n’essaie pas de nier. L’auteur de la lettre est un témoin oculaire. Il cita le nom de l’auteur : le commandant Azzedine. C’est l’un des deux hommes qui avaient assisté à ma rencontre avec Krim Belkacem. Parmi ceux que j’avais vus, c’est lui qui se montrait le plus enthousiaste pour pousser Krim à agir contre Houari Boumediène. Je ne fus pas surpris d’entendre ce nom. Je le connaissais bien. Je connaissais son aptitude à la trahison et son opportunisme ».
Après ces accusations, le commandant Azzedine n’a qu’à prendre sa plume pour répondre. Histoire de régler ce vieux contentieux. Encore un mot pour donner un carton rouge à l’éditeur qui a bâclé cet ouvrage : mise en page défectueuse et abondance de coquilles. Tout cela mérite à notre avis un coup de gueule de Bouregaa l’impétueux. Il n’y a pas que les figures de la Révolution qui trinquent.
*Lakhdar Bouregaa
Témoin sur l’assassinat de la Révolution
Edition Dar ElOkbia
PP : 1200 DA