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« Je n’ai pas dénoncé Ben M’hidi ! »

« Je n’ai pas dénoncé Ben M’hidi ! »

Chronique livresque. Mais quelle mouche a donc piqué Mme Drifa Ben M’hidi, sœur du martyr Larbi pour qu’elle accuse Brahim Chergui d’avoir vendu son frère ? Idem pour Yacef Saadi. Ce dernier, accusé lui-même d’avoir mené les paras français au refuge de Ali la Pointe et Hassiba, ne trouve rien de mieux à faire que de dénoncer Chergui comme un traître.

Impardonnable quand on porte le nom de Ben M’hidi ou qu’on ait été le chef de la branche armée de la Zone Autonome d’Alger. La question qu’on se pose alors relève du simple bon sens : comment peut-on salir un authentique moudjahid sans preuves juste parce qu’on croit que, on a entendu que, parait-il que… Séquelles de la bleuïte ? Allez savoir.

Cette légèreté coupable n’a qu’une excuse : celle d’avoir poussé Brahim Chergui à écrire un livre* définitif sur l’arrestation de Ben M’hidi et de fermer ad vitam aeternam cette triste parenthèse d’une polémique hallucinante.

Chef politique de la Zone Autonome d’Alger

Né en 1922 à Ain Khadra, dans la wilaya de M’sila, Chergui fera ses classes politiques à Biskra où sa famille s’installera alors qu’il n’avait qu’une année. « Mon éveil au nationalisme, je le dois pour beaucoup à trois de mes instituteurs de « l’école indigène de Biskra » ».

Le voilà dans le Mouvement des Scouts musulman où il croise un certain Larbi Ben M’hidi. Le voilà au PPA où il devient en 1946, le chef de l’organisation pour l’arrondissement de Batna. Grâce à son dynamisme et son total engagement, il est nommé par le CCE (Comité de Coordination et d’Exécution) à une haute et périlleuse fonction : celle de chef politique de la ZAA (Zone Autonome d’Alger), Yacef Saadi étant, lui, le chef militaire. Chergui est conscient de la lourdeur de la responsabilité : « Être chef politique de la ZAA cela signifiait que j’en étais le commissaire politique avec, cependant quelques prérogatives spéciales en plus. J’avais la responsabilité de l’ensemble des activités qu’on regroupait ordinairement dans la rubrique « politique » (propagande, information, centralisation des finances, intendance et logistique renseignement), mais également propres à la capitale ».

Il est tout admiration pour le chef du CCE, Abane Ramdane : « À lui seul, il était tempérament, un style, une « présence ». C’était un « battant » qui, dans les sphères supérieures du FLN de l’époque, personnifiait la locomotive faisant fi des obstacles et ne redoutant nullement les excès de vitesse pour peu qu’ils paraissent nécessaires. Fonceur, décideur, organisateur-né, ce sont là, à mon avis, les traits qui rendent compte le mieux du genre d’homme qu’il était, fougueux, expansif, tout de vitalité et de feu. L’envergure de Abane tenait dans son goût d’aller toujours au fond des choses. »

Quant à Ben M’hidi, le portrait qu’il nous livre est ampoulé à l’extrême, hagiographique à l’excès, nous semble-t-il : « S’il fallait caractériser Ben M’hidi en quelques mots je dirais qu’il avait été l’homme des grandes convictions, tendu par un idéal patriotique ardent et ombrageux. D’un abord facile, le personnage rayonnait de vivacité et de chaleur. Optimiste de nature, spontané et volontaire, il avait l’enthousiasme communicatif. » Au détour de la hagiographie, on trouve des traits sonnant juste et qui expliquent son courage et la fascination qu’il a exercé sur tous ceux qui l’ont approché, Bigeard en premier : « C’est que, dès son jeune âge, Ben M’hidi avait inscrit son destin sous la devise d’une cause nationale, à laquelle il se vouait et se dévouait avec une totale abnégation, s’employant à lui rendre véritablement un culte de chaque instant. Il se faisait une haute idée de la politique qu’il vivait comme une morale, comme une ascèse, avec une élévation d’âme exemplaire. »

C’est exactement ça : Ben M’hidi, à la différence des autres chefs du FLN, était un mystique de la révolution. Il s’est donné entièrement à elle ne gardant rien pour lui. Pas même un grain de peau. C’était le révolutionnaire absolu qui ne vivait que pour l’Algérie.

Des électrodes dans les parties sexuelles…

Compagnon et admirateur de Ben M’hidi, recherché par toutes les forces de répression, il sera arrêté un jour après lui, le 24 février 1957 dans un café-restaurant alors qu’il avait rendez-vous avec des responsables du FLN et de l’UGTA. C’est le capitaine Allaire, celui-là même qui a arrêté Ben M’hidi qui l’emmènera au PC du colonel Bigeard dans le quartier de Saint-Raphaël à El Biar. Ce n’était pas pour débattre, mais pour l’abattre sous la torture :

« A peine arrivé, on se saisit de moi, on me déshabilla sous une pluie de coups et de gifles, puis ce fut ma première séance de torture à l’eau et l’électricité 220 volts, qui dura cinq heures. J’étais plongé dans un bac rempli d’eau, où trainaient des cheveux, des savates et même un râtelier. Ma tête était maintenue immergée jusqu’à l’épuisement. A plusieurs reprises, je défaillis, mais à chaque fois, on me ranimait par une décharge électrique dans les narines ou sur la gencive. (…) Ils m’enfonçaient des électrodes dans les lobes des oreilles, dans les parties sexuelles…(…) Il était peut être une heure du matin, et je sombrais dans un état semi-inconscience. On me jeta dans un cagibi à même le sol, sans vêtements, sans couverture, mouillé, ensanglanté, le corps parsemé de palies et de brulures. Je me souviens vaguement que je vomissais ma bile, que j’avais atrocement soif et qu’un râle me déchirait la poitrine, montant et redescendant le long de ma trachée artère avec le bruit rythmé et strident d’un soufflet de forge. Le lendemain, aux environs de neuf heures, on me reprend. Supplice de l’eau dans le bac souillé de la veille ; des coups de bottes rageurs me sont administrés dans les flancs. Résultat : trois côtes fracturées et des douleurs d’intensité insupportable à chaque mouvement respiratoire. Comme si cela n’était pas suffisant, on testa sur moi un autre traitement barbare : écrasement des testicules entre deux planchettes. Je souffrais le martyr, je me débattais, je m’évanouissais, on me ramenait à moi et le même scénario infernal recommençait. »

D’autres séances de torture suivront, d’autres souffrances terribles suivront, mais comme il n’avait rien avoué ses tortionnaires ne dépasseront pas les limites susceptibles de le faire passer de vie à trépas. On le tenait pour un gros gibier, et le gibier devait parler avant son exécution. Tout ce qu’on tira de lui par la torture, ce sont ces aveux qui ne dénoncent personne tout en minimisant son rôle : « Oui, je suis un ancien responsable du MTLD, au sein duquel j’ai connu Benkhedda. Mais quant à mon réel rôle dans l’organisation FLN, vous tapez à côté. Car, je ne suis, au fond, qu’un paysan limité, qui ne dispose d’aucune envergure pour diriger une ville comme Alger. C’est vrai quue j’ai collaboré avec Benkhedda, mais uniquement en qualité d’agent de liaison. »

On le tortura encore et encore avec mille supplices, y compris avec le sérum de vérité, on lâcha les chiens sur lui. Ils lui lacérèrent le corps si bien qu’il ressemblait à Jésus sur sa croix. Mais la langue resta muette. Mourir plutôt que le déshonneur.

Quelques jours après son arrestation, il fut transféré vers un autre endroit. Surprise : son voisin de cellule était Larbi Ben M’Hidi ! Comme les portes des cellules étaient souvent ouvertes, il lui remit un pot de confiture qu’il avait pris du couffin d’un autre prisonnier le patriote bachagha Boutaleb qui n’a ménagé ni son argent, ni ses relations, ni ses biens pour aider la Révolution. Ecoutons Chergui : « Au cours de cette brève entrevue, Larbi ben M’Hidi m’avait affirmé qu’on lui avait demandé de rencontrer Lacoste (Gouverneur de l’Algérie) et qu’il avait refusé d’y aller en tant que militant. » La photo en compagnie de Ben M’Hidi fait partie de la mémoire visuelle de beaucoup d’Algériens, Chergui la réfute : il n’a jamais été à côté de Ben M’Hidi, mais face à lui dans un couloir.

Un jour Ben M’Hidi est brutalement exfiltré de sa cellule pour une destination inconnue. Quelques heures plus tard, le lieutenant ou capitaine, c’est selon, Allaire, fait irruption dans sa cellule. Il lui déclare que Ben M’Hidi l’a chargé de lui remettre sa montre. L’officier français ajoute : « Il parait que cela ne lui sert plus à rien. » Sans aucune preuve, Chergui ajoute qu’il a la conviction que Ben M’Hhidi a été tué par balles et non pendu. Et que même Allaire semblait consterné et ému ! C’est cette même conviction à base d’hypothèses ne reposant sur rien que Saadi et Mme Ben M’Hidi l’ont accusé. Conseil : il faut se méfier de ses impressions comme de ses convictions quand on n’est pas témoin d’un fait !

Benkhedda : « Chergui est blanc comme neige ! »

On arrive au cœur du débat qui a justifié l’écriture de ce livre : l’arrestation de Ben M’Hidi et les accusations de Yacef Saadi et de Mme Drifa Hasseni-Ben M’Hidi contre Brahim Chergui qu’ils tiennent pour un traitre qui aurait dénoncé le chahid. En effet, dans le tome 2 de ses mémoires « La btaille d’Alger » Saadi écrit sur Chergui: « Soumis à des séances de torture ininterrompues, il craqua. Il se mit alors à livrer des adresses en vrac, et, bien évidemment, celle du refuge de l’avenue Claude Debussy. » D’un simple mot, Chergui pourrait réfuter les accusations de Yacef. Ce mot : il a été arrêté après Ben M’Hidi ! De ce fait quand bien même eut-il connu l’adresse, ses aveux n’auraient servi à rien puisque le chef FLN était déjà arrêté ! Saadi semble avoir ignoré ce détail qui tue dans l’œuf ses accusations.

La chronologie temporelle est le meilleur défenseur de Chergui qui ajoute ces arguments : « Je n’ai connu l’adresse de ce refuge qu’après l’indépendance contrairement aux allégations de mes calomniateurs. Ben M’Hidi s’y était installé. Hélas l’agent immobilier qui avait procuré les appartements à Benkhedda a été arrêté et atrocement torturé. Il a résisté jusqu’au jour où son frère, agent d’assurance a été arrêté à son tour. Celui-ci était marié à une Européenne. Les tortionnaires ont exercé des pressions sur l’agent immobilier qui craignait que son frère et son épouse soient torturés devant lui. Il se faisait passer pour un simple comparse. Sous les tortures, il a révélé qu’il louait des appartements à Benkhedda pour ses amis européens mais dont il ignorait l’appartenance au FLN. Torture après torture, il a livré la liste des appartements récemment loués par Benkhedda. Les parachutistes se sont immédiatement rendusà ces appartements. Là, ils sont tombés nez à nez avec Larbi ben M’Hidi. »

Non seulement Chergui rejette les accusations, mais désigne l’agent immobilier et le hasard comme seuls coupables. On verra un peu plus loin, qu’il sera conforté par Benkhedda et le capitaine Allaire lui-même.

Justement quelle est la position de l’ancien président du GPRA sur « l’’affaire Chergui » ? Il est scan-da-li-sé ! : « Nous en sommes encore à la discorde et aux querelles…C’est une honte que d’accuser un militant, blanc comme neige, d’avoir dénoncé Ben M’Hidi. C’est archifaux. J’en témoigne devant Allah. (…) Brahim Chergui a été arrêté après Ben M’’Hidi et donc il ne pouvait pas le dénoncer. » Selon Benkhedda à part lui-même et l’agent immobilier Mohamed Ouamra personne d’autre ne connaissait le studio : « L’agent immobilier ne savait pas qui y habitait. (…) Que reste-t-il ? Il reste moi. Mais je n’ai pas été arrêté ! » Autrement dit, il n’a eu aucun contact avec l’ennemi.

Les auteurs du livre n’ont rien laissé au hasard pour traquer la part d’erreur qui peut voiler la vérité vraie. Après Benkhedda, le regretté journaliste Mouloud Benmohamed, l’un des co-auteurs avec Hamid Tahri, est parti à la rencontre du fameux capitaine Allaire, celui qui a arrêté Ben M’Hidi. Il confirme point par point la version de Chergui. Il affirme qu’un prisonnier, un certain Mohand a travaillé dans une agence immobilière : « A ce titre , on peut penser qu’il a eu la possibilité de procurer des planques à des membres du comité de Coordination et d’exécution (CCE).

Dialogue entre Mohand et Allaire :

« Mohand, tu veux me parler ?
-Oui, mon lieutenant, je vais tout vous dire, mais promettez moi de ne pas toucher à mon petit frère, il ne sait rien.
-Je t’écoute Mohand
-Voilà mon lieutenant. J’ai été contacté par le FLN, il y a un an pour cacher des chefs de passage ; je devais trouver des appartements dans le quartier européen, les louer au nom d’européens ou les acheter. Les acheteurs payaient toujours en espèces et portaient des noms français ; Je suis certain que ces planques étaient encore occupées le jour de mon arrestation et je vais vous donner les adresses. »

Allaire raconte qu’une heure plus tard ses éléments ont débarqué boulevard Saint-Saëns. Le concierge à qui on montre une photo reconnait le locataire Joseph Debris qui n’est autre que Benkhedda, absent fort heureusement. Direction alors le studio du Sacré-Cœur. Les paras montrent les photos des membres du CCE. Le concierge reconnait M. Antoine Perez dont le vrai nom est Larbi ben M’Hidi qui ouvre la porte de son appartement pour être arrêté en pyjama.

Allaire dit-il la vérité ? Quel intérêt aurait-il à mentir dès lors qu’il n’incrimine personne sinon un coup le hasard? Retenons que l’arrestation de Ben M’Hidi est le fruit de la malchance. Il n’a été vendu ni par Chergui, ni par un autre. Il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Il reste juste à regretter les attaques et les calomnies contre un authentique résistant, Brahim Chergui qui a pris sa retraite politique le 5 juillet 1962. Il ne s’est pas accroché au pouvoir, ni profiter de lui. Son engagement, comme celui de Ben M’Hidi, était désintéressé. Sa mission accomplie, il a rendu les armes : « La souveraineté nationale et internationale de l’Algérie était restaurée dans sa plénitude et cela correspondait à la fin d’un très long processus de lutte militante auquel j’ai eu l’honneur de participer. »

Et puis ces mots terribles qui sonnent contre Ben Bella et Boumediene : « Une ère nouvelle s’ouvrait qui, pour être mise en perspective, avait besoin d’’hommes neufs. J’ai estimé que, politiquement, j’appartenais à ue époque désormais révolue, et qu’il fallait passer la main. »
Moudjahid et visionnaire, tel était le combattant chef politique de la ZAA, Brahim Chergui, calomnié par d’autres combattants et innocenté par l’histoire qui elle, ne se trompe jamais.


*Brahim Chergui
Avec la collaboration de Mouloud Ben Mohamed et Hamid Tahri
Au cœur de la bataille d’Alger
Editions Dahlab
PP : 650 DA
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