L’histoire est racontée par un dirigeant politique en vue. Il est reçu par un président Bouteflika très en verve après sa conquête du palais. Animé d’une inextinguible soif de vengeance après ses déboires judiciaires des années 1980, le nouveau patron d’El Mouradia avait la dent dure contre le personnel politique.
Contre toute règle de bienséance, même ses prédécesseurs Chadli et Zéroual furent aspergés de son fiel, rabaissés et couverts de propos humiliants. Alors quand le nom d’Ahmed Ouyahia a surgi dans la discussion, c’est avec une certaine délectation qu’il est déchiqueté. Bouteflika se méfie de cet ambitieux, derrière les lunettes duquel il devine des ruses de florentin. Après avoir été directeur de Cabinet à la présidence et Premier ministre, il lui restait une seule marche à gravir avant le plus haut sommet du pouvoir.
« Il a trahi Zeroual, comment veux-tu que je lui fasse confiance », lâche le président. C’est sans doute un trait de caractère de celui qui n’a pas quitté les allées du pouvoir depuis 1993 quand le trentenaire fut nommé sous-secrétaire d’État dans le gouvernement de Rédha Malek : il est sans état d’âme, toujours à surveiller le rapport de force pour être du côté dominant. Servile mais aussi besogneux doté d’une grande capacité de travail, il sait se rendre utile. Au point de passer pour l’un des produits les plus performants du système. Pourtant son bilan de Premier ministre à plusieurs reprises n’est pas flatteur, hésitant entre protectionnisme, réformisme et ultralibéralisme.
On disait de lui qu’il était le protégé du général Toufik. Mais quelle fut sa réaction quand celui-ci se fit mordre au mollet par Amar Saadani avant de se retrouver carrément à terre ? On ne l’entendit pas prendre sa défense. Certaines informations lui prêtent même le rôle de messager quand il a fallu annoncer au patron du DRS son éviction. C’est ce rôle de messager qui semble avoir envenimé ses relations avec le chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaid Salah.
Après avoir soutenu le projet de cinquième mandat de Bouteflika, puis celui de son maintien inconstitutionnel au pouvoir, il déclare sa flamme au mouvement de contestation vers lequel bascule le fameux rapport de force. Il demande qu’il soit répondu à ses revendications « dans les plus brefs délais ».
Le bouquet viendra de son porte-parole qui a viré sa cuti dans un geste qui s’apparente à de l’autoflagellation. Seddik Chihab a repris à son compte le réquisitoire d’Ali Benflis contre « les forces non constitutionnelles » qui ont pris possession illégalement du pouvoir. « Des forces non structurées, non organisées et qui sont partout », selon lui. Allusion faite au Conseiller spécial, qui est le président de fait, et à ses protégés dans les institutions, le paysage politique et le monde des affaires.
En tant que Premier ministre et directeur de Cabinet de la Présidence, M. Ouyahia a donc agi aussi dans l’illégalité, donc en hors la loi, en se mettant au service de ces forces qui ont pris le pays en otage ces cinq à sept dernières années. Comme toujours, Ouyahia s’est exécuté sans état d’âme. Les propos de son porte-parole sonnent comme une fausse repentance. Devra-t-il s’y résoudre sur la place publique que personne n’y croira. D’ailleurs, le RND a désavoué aujourd’hui même Seddik Chihab. A l’heure d’un éventuel naufrage, Ouyahia fera comme le patron du Titanic: il fera mine d’aider mais pour mieux gêner.
| LIRE AUSSI : Les clans du pouvoir s’entredéchirent : l’heure du grand déballage