Il était le dernier des seigneurs en football. Et seigneur il l’était vraiment. Buste d’empereur romain, mais pas seulement, il avait aussi la démarche élégante et altière, et l’élégance des mots. On pourrait le croire hautain.
Non, il était simplement haut. Haut comme le Djebel qu’il était au sein des « Verts » dont il était le rempart et le capitaine. Comme il l’était à l’US Biskra, ville de ses origines, au CRB, coéquipier et ami de Lalmas, comme il l’était aussi au MCA.
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Là où il jouait on lui attribuait automatiquement le brassard de capitaine. Pas seulement à cause de sa tête d’or, non, à cause de sa tête tout court. Kamel Lemoui était une tête bien faite dans un milieu de passion et de folie. Lui, restait toujours zen, toujours modéré, toujours souriant. Au-dessus du lot, Kamel.
Certes il aimait le football mais plus encore les joueurs. Non, il n’était pas le genre à brimer un talent, pas le genre à brider un étalon, pas le genre à se la couler douce.
Quand il était entraîneur national vers la fin des années 80, il payait de sa personne pour que les joueurs ne paient pas. Il les mettait à l’abri des manigances et des pressions qu’il subissait des instances dirigeantes du foot et même du ministère.
Je me rappelle d’une soirée froide comme la mort au mess des officiers à Constantine. L’équipe nationale venait de faire nul avec l’Égypte après l’avoir dominé copieusement. Le connaissant bien, j’ai pu, cette nuit-là, avec un confrère de l’APS partager sa grande solitude.
Haut comme le Djebel
Il n’avait poussé aucune plainte, aucune accusation contre l’instance fédérale qui l’avait lâché bien avant le match à cause d’une question de prérogatives et de vision.
Explication pour les moins de 50 ans. Lemoui voulait être maître de ses choix techniques, tactiques et logistiques. La FAF voulait aussi avoir son mot à dire, trouvant en Lemoui un partenaire fort peu commode, refusant toute ingérence.
Disons-le franchement, Lemoui n’avait pas ses faveurs et sans doute priait-on du côté de Dely Brahim pour que l’E.N. chute et chute alors son trop libre entraîneur.
À l’appui, une photo prise sur le vif au stade du 17-Juin de Constantine par notre photographe immortalisa des dirigeants fédéraux en train de rigoler à se fendre la rate dans la tribune officielle.
Cette nuit donc on comprit que le sort de Lemoui était scellé alors qu’en 15 mois il ne perdit aucun match officiel. Il trouva même le moyen de faire de l’humour regrettant seulement que le technicien algérien était toujours moins bien payé que l’étranger et surtout bien moins considéré.
Si Lemoui avait sa sérénité habituelle grâce à une distance intérieure que bien de stoïciens lui envieraient, son entourage, en revanche, était partagé entre l’abattement et la colère.
Pour cet entourage, on a fait hara-kiri aux Verts pour avoir la peau de son entraîneur. Vrai ? Faux ? On ne se prononcera pas ici. Tous ceux qui étaient responsables à cette époque sont décédés. Laissons les morts à la mort. Et paix à leurs âmes.
Pour la petite histoire, au match retour ce fut Kermali qui driva les « Verts » et perdit dans des circonstances épouvantables la qualification en terre égyptienne. J’y étais aussi. Et j’ai vu à quelles extrémités pouvait mener une forme d’hystérie collective. C’était tout sauf du foot. Mais le temps est passé et il ne reste rien sur les terrains de foot. Rien que l’empreinte en lettres d’or de l’inestimable Kamel Lemoui qui repose aujourd’hui en paix lui qui ne s’était jamais reposé sur personne.