A défaut d’affaiblir le hirak populaire, le pouvoir vient de lui donner ce qui lui manquait jusque-là : une icône.
L’arrestation puis l’incarcération de Karim Tabbou a donné lieu à un immense élan de solidarité avec le porte-parole du parti (non agréé) de l’Union démocratique et sociale.
Interpellé mercredi 11 septembre à son domicile à Douéra, Tabbou s’est vu signifier, le lendemain, l’accusation d’atteinte au moral de l’armée, par le procureur près le tribunal de Koléa qui a ordonné son incarcération à la prison de la même ville. C’était la veille du trentième acte de la révolution populaire qui retrouvait tant bien que mal sa vigueur après un été caniculaire et une succession de mesures contraignantes, dont justement les arrestations, le black-out médiatique et le blocage des accès à la capitale.
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Effet Tabbou ou pas, les rues du centre d’Alger ont renoué ce vendredi 13 septembre avec l’ambiance des grandes journées de mobilisation du début du hirak. L’affluence demeure certes en-deçà des niveaux atteints lors des marches du mois de mars, lorsque Bouteflika s’accrochait encore au pouvoir, mais de l’avis de beaucoup d’observateurs, jamais autant de monde n’a marché dans la capitale depuis la grande manifestation du 5 juillet dernier.
Ce trentième acte était aussi l’un des rares vendredis que l’ancien fidèle de Hocine Aït Ahmed a raté depuis le 22 février, mais il était plus que présent. Un vibrant hommage lui a été rendu à coup d’« Allah Akbar Karim Tabbou » scandés unanimement par les manifestants de toutes obédiences, sous le regard ému de ses enfants et de sa femme, laquelle, loin de se lamenter, a appelé à continuer le combat de son mari.
L’espace d’un vendredi, Karim Tabbou est passé de simple animateur du hirak à un symbole de la lutte pour le changement et contre l’arbitraire.
Pour ceux qui espéraient voir le mouvement se lézarder, c’est aussi raté puisque les manifestants ont de nouveau insisté sur l’unité des rangs et le nom de Tabbou, originaire de Kabylie, a été scandé aux quatre coins du pays. Tout comme ne se sont pas laissé intimider les autres figures du mouvement, dont Me Bouchachi, Samir Belarbi, Fodil Boumala et les autres qui, comme d’habitude, étaient vendredi aux premières lignes. A tous points de vue, la décision s’apparente à un coup d’épée dans l’eau, voire à un petit coup de pouce involontaire au mouvement populaire.
L’arrestation de Karim Tabbou a aussi valu au pouvoir algérien l’une des rares interpellations sur la scène internationale depuis le début du hirak, avec la montée au créneau de la présidente de la commission des droits de l’Homme du Parlement européen qui a dénoncé un « acte arbitraire ».
Même l’avocat Farouk Kesentini, réputé proche du pouvoir, a jugé exagérée la décision de placer l’homme politique en détention provisoire.
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La réaction de certains partis se fait toujours attendre
Dans la sphère politique locale, on a aussi vigoureusement dénoncé le sort réservé au porte-parole de l’UDS. Les sept partis de l’Alternative démocratique ont condamné une « arrestation arbitraire qui s’inscrit dans le cadre de la criminalisation de l’action politique et de l’instrumentalisation de l’État et de ses institutions par le pouvoir en place ».
Ils ont rappelé que le coordinateur de l’UDS est « le deuxième chef de parti politique d’opposition à être incarcéré pour des positions politiques », en allusion à la SG du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, détenue à Blida depuis avril pour « complot contre l’autorité de l’Etat et de l’armée ».
« L’arrestation et l’emprisonnement de l’opposant Karim Tabbou est un acte inacceptable et renseigne sur la persistance de l’instrumentalisation politique de la justice et de la restriction des libertés individuelles et collectives », a réagi pour sa part Abdelaziz Rahabi, homme politique sans attache partisane mais membre actif de l’autre bloc de l’opposition, les partis des Forces du changement, signataires de la plateforme de Aïn Benian début juillet.
Karim Tabbou s’était gardé de rejoindre l’une ou l’autre des deux factions pour, expliquait-il, ne pas cautionner la bipolarisation de la scène politique qui a commencé à se dessiner durant l’été. Il prendra néanmoins part à la rencontre qui a regroupé, le 24 août à la Safex, les dynamiques de la société civile et l’ensemble de l’opposition, destinée à rapprocher les points de vue et à s’entendre sur une feuille de route consensuelle pour une sortie de crise.
Mais cet engagement commun n’a pas empêché certains d’observer le silence devant l’emprisonnement de Tabbou. En tout cas, la réaction du parti de Ali Benflis et des formations islamistes se fait toujours attendre.