Décidément la préservation des réserves de change du pays est le sujet de toutes les attentions et de toutes les inquiétudes au cours de la période actuelle.
Dans la soirée de dimanche, on a enregistré sur ce thème la réaction assez improbable de l’Ordre des avocats d’Alger qui demande carrément au Gouverneur de la Banque d’Algérie et aux directeurs des banques de « ne plus valider » et de « ne pas régler tous les contrats et toutes les opérations commerciales de certains intérêts privés » .
Les avocats d’Alger appellent la Banque d’Algérie à veiller à « éviter la dilapidation de l’argent public », avec un « contrôle rigoureux des opérations financières » et la mise en place « des mesures nécessaires et conservatoires pour faire face à toutes les tentatives visant à transférer illégalement l’argent public » à l’étranger, et ce en attendant « la mise en place d’un État légitime ».
La corporation des avocats est aux avants postes sur cette question puisque le bâtonnier d’Alger, Maitre Silini, invitait également hier lundi dans une interview à TSA, la Banque d’Algérie à « bloquer les transferts suspects »
« Nous savons, assure Me Silini, qu’il y a actuellement des opérations de transfert de très fortes sommes d’argent par des opérateurs économiques très connus. Nous disons qu’il ne sera jamais trop tard de faire des opérations dans un mois, deux mois ou plus, une fois que l’Algérie aura retrouvé sa stabilité. Il faut être vigilant, consciencieux, responsable et digne de la confiance qui est placée sur les épaules des responsables des institutions financières dans la gestion de l’argent des Algériens et ne pas permettre des opérations qui peuvent porter préjudice aux réserves de change de l’État ».
La réaction des avocats d’Alger est très symptomatique du climat politique actuel. L’image de cercles dirigeants occupés à vider les caisses de l’État et à épuiser nos dernières marges de manœuvre financières est aujourd’hui largement répandue dans l’opinion nationale, dans un contexte marqué par une grave crise politique. Elle contribue à renforcer le sentiment de défiance vis-à-vis des décideurs politiques et économiques du pays.
Cette représentation n’est d’ailleurs plus seulement présente au sein du grand public ou du cercle des avocats. Elle tend également à gagner du terrain parmi les milieux, plus avertis, des experts et des spécialistes de l’économie algérienne.
Dimanche, c’est un professeur d’université qui était l’invité d’une émission phare de la Chaîne III de la Radio nationale. Mohamed Cherif Belmihoub réclamait également des mesures exceptionnelles et estimait qu’au cours de la période actuelle « les réserves de change du pays doivent être sous contrôle et sous supervision directe au-delà de la Banque d’Algérie »
Le spectre de la fuite des capitaux
Des propos qui font écho à ceux d’un autre universitaire algérien, Nour Meddahi, qui dans une contribution récente à TSA croyait également déceler dans l’emballement du mécanisme de la planche à billet au cours des derniers mois les signes que « le niveau de prédation a augmenté » et que « la forte augmentation de la liquidité bancaire semble aussi profiter au patronat connecté au politique pour le financement de ses activités, souvent prédatrices ». Dans le même registre, mais cette fois à propos de la balance des paiements, M. Meddahi relevait que « le déficit de la partie service est historiquement au plus haut, ce qui suggère aussi une fuite de capitaux ».
Dans une contribution publiée également ces derniers jours par TSA, un expert financier algérien, Nacer Bourenane, estimait pour sa part de façon plus radicale qu’”il est urgent de remplacer l’équipe aux commandes de la gestion économique et financière immédiatement et de ne pas trop attendre. Cela évitera toute fuite en avant et surtout la fuite de capitaux caractéristique des situations révolutionnaires comme celle que vit le pays”.
Les propositions du groupe Nabni
Pour l’instant les propositions les plus précises sur ce sujet sont venus du groupe Nabni. Dans une note publiée en début de semaine, le collectif d’experts algériens s’associe aux inquiétudes exprimées par beaucoup d’Algériens en considérant que « l’heure est grave et en l’absence de garde-fous, de transparence et de contre-pouvoirs efficaces, la menace d’une recrudescence des actes de prédation est réelle, particulièrement dans le contexte actuel de changement attendu du personnel politique et de remise en cause de relations rentières dont bénéficient certains acteurs privés avec l’État ».
Ils encouragent ainsi la société civile à « exiger expressément des comptes et de la transparence aux pouvoirs publics ». Nabni appelle en particulier à « la transparence immédiate et continue, sur les réserves de change, et les opérations d’importation »
Ce résultat pourrait être obtenu notamment à travers la « publication d’un état hebdomadaire des réserves de changes et des engagements de la Banque d’Algérie en matière d’importations », ainsi que « la publication d’un état hebdomadaire des opérations d’importation couvertes par la Banque d’Algérie avec les montants et les biens et services concernés ».
Une interpellation légitime
Même si on peut encore juger à l’heure actuelle que les craintes exprimées à propos d’une accélération de la fuite des capitaux ne sont pas complètement étayées, l’interpellation dans le contexte présent d’institutions comme la Banque d’Algérie ou le ministère des Finances est certainement légitime.
Au cours de la période actuelle, la Banque d’Algérie est en première ligne sur un thème qui est devenu d’une actualité brulante. L’érosion des réserves nationales de change se poursuit. Elle est en passe de devenir le principal sujet de préoccupation non seulement du grand public mais aussi, comme on l’a vu, de beaucoup d’experts.
Dans ce domaine, qui est de sa responsabilité directe, l’institution dirigée par Mohamed Loukal n’a pas vraiment brillé au cours des derniers mois par sa réactivité ni par son souci d’éclairer l’opinion publique nationale. Les derniers chiffres disponibles, qui indiquaient que nos réserves financières extérieures sont passées sous la barre des 80 milliards de dollars à fin 2018, ont été livrés par Ahmed Ouyahia peu avant sa démission.
On attend toujours la confirmation de ces données par la Banque d’Algérie ainsi que plus largement le rapport de l’institution sur la situation de la balance des paiements à fin 2018 .
Dans un contexte politique exceptionnel, marqué par le mouvement populaire contre le système, les institutions chargées du pilotage de l’économie nationale donnent l’impression d’être décidées à faire le dos rond et à continuer d’assurer une sorte de service minimum en matière d’information de l’opinion nationale sur notre la situation économique et financière du pays.
La Banque d’Algérie semble en particulier s’en tenir à une règle de conduite qui a consisté essentiellement au cours des dernières mois à exploiter les seules convocations devant les députés et les sénateurs pour livrer des informations périodiques sur la situation financière du pays.
Un choix qui pourrait se révéler assez périlleux à la fois pour sa crédibilité et pour la sérénité du débat public dans la période présente. Le maintien d’un flux d’information régulier, voire l’augmentation de sa fréquence et de sa périodicité, dans le cas de certains sujets sensibles comme la situation de la balance des paiements ou celles des réserves de change, constitueraient très certainement une option plus judicieuse ainsi que l’y invite actuellement beaucoup d’experts nationaux.
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