Dérive, dérapage ou orientation intéressée ? En qualifiant de « terroristes » des dirigeants du Hamas et du Hezbollah, récemment tués par l’occupant israélien, la chaine à capitaux saoudiens, MBC n’a pas manqué de provoquer une vague de colère et d’indignation sur les réseaux sociaux arabes. Le reportage qui a provoqué ce tollé a été réalisé par le bureau irakien de la chaîne.
Tandis que ses locaux à Bagdad ont été saccagés samedi peu après minuit par plus de 400 hommes présentés comme appartenant à des factions pro-iraniennes, de nombreux internautes ont appelé à son boycott.
Pour sa part, le mouvement Hamas a qualifié la chaine de « presse jaune » en réclamant des « excuses ».
Dans un reportage intitulé « le millénaire de l’éradication des terroristes », la chaine saoudienne a égrené une liste de personnalités qui, selon elle, « ont produit la violence et attisé le feu de l’extrémisme et du terrorisme dans beaucoup de pays », depuis particulièrement les attentats du 11 septembre 2001.
Parmi les personnalités citées figurent Oussama Ben Laden, chef d’Al Qaïda, tué en 2011 par les forces spéciales américaines au Pakistan, Abou Bakr Al Baghdadi, chef de la nébuleuse Daech, tué en 2019 en Syrie, Ayman Al Zawahiri, tué à Kaboul en 2022 ou encore le général iranien Qassem Souleimani, assassiné en 2020 par un drone armé américain à Bagdad.
Sans nuances, ni quelques précautions que commande la déontologie dans le traitement de cette question complexe du terrorisme dont la définition exacte n’existe pas fondamentalement, la chaine saoudienne met dans le même panier les semeurs de terreur au nom d’une idéologie rétrograde pour imposer la loi islamique et les dirigeants palestiniens qui se définissent comme résistants à l’occupation, titre que lui reconnaissent nombre de pays et de citoyens dans le monde.
C’est ainsi qu’elle a présenté Yahya Sinouar, tué mercredi dernier dans un accrochage à Gaza avec les forces israéliennes, comme le « nouveau visage du terrorisme et le dernier dont le monde s’est débarrassé ».
La chaîne MBC prend des mesures pour faire face à la tempête
Le qualifiant de « sanguinaire », MBC a présenté Yahya Sinwar comme le « boucher de Khan Younès », auteur « d’opérations sauvages et criminelles » menées au profit de Hamas.
Alors que Salah El Arouri, tué au Liban, est présenté comme la « tête pensante du Hamas, commanditaire d’opérations terroristes », l’ancien chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, tué en Iran par Israël fin juillet dernier, est désigné comme personnalité « influente dans le monde de la terreur ».
Autre figure qualifiée de « terroriste » par MBC, le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah qui a été lui aussi tué dans un raid israélien fin septembre dernier à Beyrouth.
Pour MBC, ce proche de Téhéran est le « symbole du terrorisme » et « patron des milices armées, responsable de l’éclatement du Liban ».
Face à ce qui est perçu comme une confusion délibérée de la chaîne saoudienne, le mouvement Hamas a dénoncé ce « traitement » et réclamé le retrait du reportage.
De leurs côtés, de nombreux internautes ont appelé au « boycott » de la chaîne, assimilée à la « voix des sionistes », en relevant que le reportage a ignoré le fait que les dirigeants palestiniens aient été tués par l’occupant israélien.
De crainte probablement de conséquences à son image et à son aura, la chaîne saoudienne a aussitôt décidé de supprimer le reportage. Cependant, il demeure consultable sur plusieurs plateformes.
L’Autorité générale de régulation des médias en Arabie Saoudite a annoncé ce dimanche 20 octobre avoir ouvert une enquête avec les responsables de la chaîne.
Selon elle, « le reportage est en contradiction avec les règles de diffusion en vigueur en Arabie Saoudite », affirmant que « les démarches légales seront prises à l’encontre de cette infraction ».
De son côté le Conseil des commissaires de l’Autorité des médias et des communications, irakienne, a annoncé, samedi, l’annulation de la licence d’exploitation de la chaîne MBC dans le pays.
Ce reportage survient alors que l’Arabie Saoudite a opéré, depuis l’arrivée de Mohamed Bin Salmane aux commandes, un revirement stratégique en ouvrant la porte à l’établissement de relations avec Israël et en amorçant un rapprochement avec l’Iran.
Un tournant s’inscrit dans le prolongement de la volonté de Ryad de se défaire du « wahabisme », idéologie du Royaume et dont l’influence dans la sphère arabo-islamique a provoqué d’incommensurables dégâts, y compris du…terrorisme, comme en Algérie dans les années 1990.