Avant première mondiale, samedi soir à la salle Maghreb, du long métrage « La cité des hiboux » du marocain Azalarab Alaoui, en compétition officielle au 11ème Festival international d’Oran du film arabe (FIOFA).
Le film aborde, pour la première dans l’histoire du cinéma marocain, la prison secrète de Tazmamart qui était réservée aux prisonniers politiques dans les années 1970 et qui a inspiré Tahar Ben Jelloun pour son roman « Cette aveuglante absence de lumière » (2001).
Sans évoquer directement Tazmamart ni le pays, Azalarab Alaoui, qui puise dans la fiction une matière historique encore vivace, a imaginé un village-forteresse, appelé « Douar El Boum » (La cité des hiboux), entièrement contrôlé par les militaires.
Le village, qui est relié à la forteresse par un pont suspendu sur un ravin profond, est situé dans le Haut Atlas. La vie tourne presque au vide. L’unique école a été fermée par les militaires et les familles des gardiens de la forteresse-prison interdisent à leurs enfants la scolarisation. L’unique enseignant du village, qui s’est opposé à la construction de la prison, a été torturé au point de perdre la raison. « Je suis analphabète et je surveille ceux qui ont été à l’école », lance le caporal Ahmed à Wafa, venue lui demander de laisser sa fillette aller à l’école.
Wafa a rencontré le refus partout alors qu’elle est revenue de la ville pour rouvrir l’école. Wafa est la fille du gardien Saïd. Un simple soldat qui semble pris par des remords. Il aide à chaque fois le fkih (l’imam) à enterrer les détenus qui décèdent. On ne sortait de Tazmamart que les pieds devant durant « les années de plomb ».
Des prisonniers en hors champs
Hassan, fils de l’imam, est quelque peu révolté par la situation. Lié à Wafa, il parle sans cesse de ce qui se passe à l’intérieur de la Forteresse, tenue par un colonel qui n’exprime sa pitié qu’à l’égard de sa chienne Laïka. Lorsque le fikh découvre que son fils Amine est mort en prison, les événements s’accélèrent.
« Personne ne peut continuer indéfiniment à imposer son arbitraire aux autres. Viendra toujours un matin où le soleil brillera », a confié Azlarabe Alaoui, lors d’une rencontre avec la presse, après la projection du film. Il s’est appuyé sur la fameuse expression, « ils pourront couper toutes fleurs, ils n’empêcheront pas la ruée du printemps ».
Le cinéaste a soigneusement évité de montrer le visage des prisonniers. Tout le film est raconté à travers le quotidien pénible des gardiens, tenus de rester debout toute la journée devant la grande porte de la forteresse. D’où l’intérêt du long métrage qui non seulement aborde un sujet resté tabou pendant longtemps au Maroc mais qui défend l’idée que l’ignorance est la plus grande prison pour l’homme. « Là, où l’ignorance s’installe, les drames suivent », a appuyé le cinéaste. L’attitude quelque peu négative de l’imam, qui était au courant de tout, suggère que la religion peut être utilisée même dans les situations inacceptables sur le plan humain et moral. « Dans les pays arabes, la religion est utilisée pour faire dormir les peuples. L’imam était complice et ne s’est réveillé qu’à la fin », a noté Azlarabe Alaoui.
Effet miroir
Au Maroc, à la sortie du film en mars 2018 au Festival du film de Tanger, les anciens détenus de Tazmamart ont critiqué le long métrage. « Ils n’ont pas accepté que les visages des prisonniers ne soient pas montrés. Mon approche était de montrer la souffrance des détenus dans le regard des gardiens. C’est un effet miroir. Quand on veut sacraliser quelqu’un, notamment dans les films religieux, on fait disparaître ses traits de l’écran. L’endroit montré dans le film peut être dans n’importe quel pays où les droits humains ne sont pas respectés. C’est pour cette raison que je n’ai pas voulu titrer le film « Tazmamart ». Douar El Boum, lui, est un endroit fictif. J’ai eu recours aux effets visuels pour créer des espaces qui n’existent pas », a souligné Azlarabe Alaoui.
Il a rencontré les anciens détenus de Tazmamart pour leur dire que « La cité des hiboux » est une fiction, pas un documentaire. Par le passé, deux films marocains ont évoqué la question des droits de l’Homme au Maroc dans les années 1970, « La chambre noire » de Hassan Bendjeloun et « Djohra bent el habs » de Saad Cheraibi. Mais, aucun cinéaste n’a abordé Tazmamart, une prison, construite au début des années 1970, dans la région d’Errachidia. Elle a été fermée en 1991.
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