Politique

La communauté internationale rompt son silence, entre prudence à Paris et position tranchée à Washington

Au fil des jours qui s’égrainent et des cortèges qui défilent dans les rues pour demander au président Bouteflika de se retirer après 20 ans de pouvoir, les puissances internationales sont contraintes d’ouvrir les fenêtres sur les manifestations en Algérie et de dire leur sentiment face à la houle qui grossit.

Première puissance concernée, la France. Les échanges économiques, les relations humaines et l’histoire commune font que quels que soient les effets de l’onde qui traversera l’Algérie elle sera ressentie dans l’hexagone. Si la situation dégénère, Emmanuel Macron craint déjà une vague migratoire. Mais cela n’est pas fatal et la crise peut engendrer au contraire une consolidation de la stabilité. Février 2019 pourra rentrer dans l’histoire comme la surprise que la France n’attendait pas, habituée au président Bouteflika chez qui François Hollande a trouvé une “alacrité” que personne n’avait perçue avant lui.

La France est clairement préoccupée et le président Emmanuel Macron a fait venir à Paris son ambassadeur Xavier Driencourt pour qu’il puisse rendre compte à son ministre des Affaires étrangères. Avant cela, il a eu une longue conversation téléphonique avec lui, ce qui est exceptionnel.

Xavier Driencourt, qui occupe le poste d’ambassadeur pour la seconde fois après un premier passage entre 2008 et 2012, est un bon connaisseur de l’Algérie. Conscient de la complexité des choses dans un contexte où le pouvoir est entouré d’une grande opacité ces dernières années, il est souvent très prudent dans ses analyses sur la situation. C’est lui qui inspire en partie la position actuelle de Paris.

Prudence calculée de la France

L’Algérie a même eu droit sa part de temps en réunion du Conseil des ministres. A en croire Le Canard Enchaîné d’aujourd’hui, c’est une stupeur qui s’est manifestée autour de la table du Conseil. « On a été surpris par l’ampleur du mouvement. On pensait que la population réagirait avec apathie à une nouvelle candidature de Bouteflika ».

Cela pour les indiscrétions. Officiellement, la France « a pris note de la candidature du président Bouteflika », selon un communiqué de son ministère des Affaires étrangères. « Nous souhaitons que l’élection présidentielle se déroule dans de bonnes conditions. C’est au peuple algérien de choisir ses dirigeants et de décider de son avenir ».

Des éléments de langage répétées, presque à l’identique, ce mercredi par Jean-Yves Le Drian à l’Assemblée nationale puis par Edouard Philippe sur BFM TV ce soir. « L’Algérie est un pays souverain, c’est aux Algériens qu’il revient de prendre les décisions sur leur avenir », a déclaré le Premier ministre français, faisant valoir qu’il n’y avait « aucune indifférence » ni « aucune ingérence » de la part de Paris.

A ce stade, Paris n’a pas intégré un éventuel report du scrutin dont Bouteflika sortira bien sûr vainqueur s’il a lieu. Est-ce un soutien implicite au chef de l’État ? Pour seule réponse, Paris s’abrite derrière la position de « non-ingérence ». Mais jusqu’à quand tiendra-t-elle alors que l’opinion publique française semble témoigner de la sympathie pour la contestation comme l’illustre d’ailleurs une grande partie de la presse ? Sans compter que la communauté algérienne en France est plutôt dans le rang des opposants. Une démonstration en a été faite. Les opposants ont été des milliers à manifester à Place de la République à Paris quand les partisans n’ont été que quelques dizaines rameutés grâce au soutien des autorités consulaires.

« La non-ingérence est un paravent diplomatique bien commode » mais « l’alternative qui consiste à dire Bouteflika plutôt que le chaos n’est plus tenable », et « la volonté du peuple algérien de tourner la page est dans la logique des choses », avertit Le Figaro en exhortant le pouvoir à « regarder les choses en face ». Le Monde a appelé Bouteflika à « renoncer dès maintenant » en organisant rapidement la conférence de transition, estimant que sa réponse aux manifestants est parvenue « trop tard » avec « trop peu » de contenu qui plus est.

Mais les manifestations se déroulant dans le calme, « sans violences ni répression », la France très sourcilleuse sur le principe des relations « entre États » n’entend pas déroger à sa règle de conduite. Surtout qu’un retour de situation favorable au président Bouteflika reste possible. Cette hypothèse est prise en compte à Paris. « Les Français connaissent les capacités du pouvoir algérien à rebondir », explique un connaisseur.

Par ailleurs, la France dispose en réalité de peu de levier de pression sur les dirigeants algériens. Grâce à la manne pétrolière, l’Algérie a diversifié ces partenaires économiques et militaires ces dernières années : les Chinois construisent les infrastructures, les Russes et les Allemands nous vendent des armes… Du coup, elle n’est pas sous l’influence exclusive de qui que ce soit.

Le seul levier dont dispose Paris reste les visas. Mais grâce à un accord entre les deux pays, les détenteurs de passeports diplomatiques sont exemptés du fameux sésame. Autrement dit, les caciques du pouvoir et leurs proches ne risquent pas d’être touchés par d’éventuelles restrictions sur les visas.

Enfin, Paris le sait : la moindre déclaration hostile au pouvoir ou de soutien aux manifestants sera utilisée par le pouvoir pour tenter de démontrer que les manifestations sont téléguidées depuis l’étranger. Dans ce contexte, un engagement plus franc pour son départ n’est pas à l’ordre du jour de Paris, pour l’instant.

Une position tranchée et claire des USA

La Commission européenne est moins prudente. Elle demande aux autorités algériennes de respecter « le droit de manifestation, d’expression et de réunion ». Mais la position de Bruxelles compte peu aux yeux du pouvoir algérien. Alger le sait : les Européens sont tellement divisés qu’ils n’arriveront jamais à s’entendre sur une position commune concernant l’attitude à adopter. Cela s’est vérifié récemment avec l’Arabie saoudite. L’Allemagne a pris l’initiative de suspendre ses ventes d’armes à Riyad. Personne ne l’a suivie.

Il reste un pays dont les positions comptent : les États-Unis. Mardi soir, Washington est allé loin en affirmant « soutenir le peuple algérien et son droit à manifester pacifiquement ». La déclaration américaine est tranchée et claire : le choix du peuple contre la décision du 5e mandat. Les Américains devraient le dire de manière encore plus claire après ce vendredi après les nouvelles manifestations attendues dans tout le pays.

Au delà du contenu ferme de la déclaration américaine, c’est la promptitude de la réaction américaine qui interpelle. Les États-Unis n’avaient en réalité aucune raison de le faire : les manifestations sont pacifiques et les autorités n’ont pas eu recours à une répression farouche.

Washington avait par exemple gardé le silence pendant le hirak marocain où la répression avait provoqué son lot de victimes.

Washington avait juste alerté ses ressortissants sur les risques à se trouver au milieu de la foule lors des rassemblements dans le Rif sans autre recommandation spécifique ou prise de position politique.

Une chose est sûre : les réactions de Paris, Bruxelles et Washington vont aider à contenir les ardeurs de ceux qui souhaitent mâter la rue.

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