Au Maroc, la crise du secteur agricole qui est durement touché par la sécheresse, a jeté une lumière crue sur l’industrie du pays qui peine à créer des emplois.
Tourné vers l’export, l’économie marocaine peine à créer des emplois pour absorber le taux qui touche près de 50% des jeunes dans le pays.
Dans le monde agricole marocain, la colère ne cesse de monter. Des agriculteurs du sud réclament la levée de l’interdiction de la culture de pastèque. En cause, leur endettement et la non rentabilité des cultures de substitution. Au Maroc, l’agriculture est en crise et perd des emplois que n’arrivent pas à compenser les autres secteurs économiques.
Dans la région de Tata, les agriculteurs se disent fortement endettés depuis l’interdiction de la culture de la pastèque.
Brahim, un agriculteur confie au média marocain Hespress : « Les cultures alternatives que nous avons expérimentées au cours des trois dernières années n’ont pas réussi à combler le vide économique causé par l’interdiction de la culture de la pastèque, car de nombreux agriculteurs se retrouvent désormais obligés de rembourser des dettes contractées pour des investissements agricoles réalisés localement il y a quelques années ».
La culture de la pastèque n’est pas la seule activité en crise au Maroc. S’y ajoutent la production fruitière et d’oignons, l’élevage ovin et les céréales.
Cet été, un propriétaire de moissonneuse-batteuse indiquait ne travailler qu’un jour sur trois face à l’augmentation des parcelles sinistrées du fait de la sécheresse qui frappe le royaume depuis cinq ans.
Quant à la culture de la tomate, l’exploitation à outrance des nappes d’eau fait que la seule alternative reste celle coûteuse du dessalement de l’eau de mer.
Perte d’emplois dans l’agriculture au Maroc
Le secteur agricole représente 30% de l’emploi au Maroc mais en a perdu massivement ces dernières années du fait de sécheresses récurrentes ces 6 dernières années.
Le taux de chômage est passé de 12,9% à 13,7% au premier trimestre 2024 par rapport à 2023 indiquait en mai dernier le Haut-commissariat au plan (HCP) qui insistait sur le fait que « la situation du marché de travail continue de subir l’effet de la sécheresse ».
Ce sont près de 160.000 emplois agricoles qui ont disparus ce qui porte le nombre de personnes sans emploi à plus de 1,6 million dans un pays qui compte 37 millions d’habitants, selon la même source.
Un chômage qui touche essentiellement les jeunes. Un récent rapport du Conseil marocain économique, social et environnemental (Cese) révèle que 1,5 million de jeunes entre 15 et 24 ans se retrouvent au chômage ce qui représente un quart de cette tranche d’âge. Une situation alors que l’actuel premier ministre Aziz Akhnouch promettait un million d’emplois. Aussi beaucoup d’entre-eux ne voient leur salut qu’en tentant de rejoindre illégalement l’Europe.
Le désespoir est tel que depuis plusieurs semaines, sur les réseaux sociaux, des appels incitent les jeunes à tenter de franchir en masse les barrières qui entourent l’enclave espagnole de Ceuta. Une situation qui a obligé un déploiement massif des forces de l’ordre dans cette région.
Une industrie qui ne crée pas d’emplois
Selon les chiffres officiels, chaque année 200.000 personnes arrivent sur le marché de l’emploi au Maroc alors que l’économie ne crée en moyenne que 70.000 emplois.
L’économiste marocain Nadjib Akesbi regrette que « l’économie soit encore très dépendante de l’agriculture, elle-même très vulnérable aux aléas climatiques ».
Avec la création respective de 19.000 et 15.000 emplois, les secteurs de la construction et des services n’ont pas permis d’offrir des alternatives.
Quant aux investissements, l’économiste note que : « les deux tiers viennent de l’Etat et concernent surtout les infrastructures, qui coûtent très cher et créent peu d’emplois ». Quant à l’investissement étranger Nadjib Akesbi reste dubitatif : « Et l’investissement privé, incluant celui de l’étranger, porte surtout sur des activités à faible valeur ajoutée, de rente, comme l’immobilier ».
« L’Etat fait de la désinformation »
Des concessions considérables ont été opérées dans les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique pour attirer les entreprises étrangères : larges subventions, gratuité du foncier sans compter l’assurance d’une main d’œuvre docile. Mais, force est de remarquer que ces secteurs n’emploient que 12,2% de la population active marocaine. Selon les chiffres officiels, l’industrie n’a créé en 2023 que 7.000 emplois.
Najib Akesbi commente : « On se raconte beaucoup d’histoires. Il y a dix ans, on disait que le Maroc exportait 100 000 voitures. C’est plutôt Renault qui à partir du Maroc exporte des voitures. L’Etat fait de la désinformation car il omet de mentionner le taux d’intégration. Ce que font les usines marocaines, c’est de l’assemblage, qui est lui-même de plus en plus robotisé. Il y a très peu de main d’œuvre en réalité ».
L’économie du Maroc, très liée aux marchés européens, a dû affronter ces deux dernières années la hausse des prix de l’énergie, une inflation galopante et une baisse de la demande mondiale. Avec un marché interne faible, le Maroc a misé sur l’export pour développer son économie. Un modèle qui a montré ses limites avec la crise du secteur agricole.
Très critique Othmane Fahim, chercheur à l’Observatoire marocain de la très petite et moyenne entreprise (TPME) déclare que « le gouvernement a pris toute une série de mesures assez standard inefficaces (prime à l’embauche, statut de l’entrepreneur, incitations fiscales…) ».
Il ajoute à propos du gouvernement : « Il dispose de marges de manœuvres qui peuvent être opérées rapidement en investissant en priorité dans la formation professionnelle et technique ».
Que ce soit en agriculture avec une stratégie vers des cultures gourmandes en eau pour satisfaire les marchés européens ou dans des industries qui emploient peu de main d’œuvre, le Maroc peine à répondre aux besoins de sa population.