Convoqué par la gendarmerie nationale pour ce mercredi 31 mars, le journaliste El Kadi Ihsane, directeur de Radio M et Maghreb Emergeant, s’est présenté au siège du groupement d’Alger à Bab J’did, avant d’être acheminé vers le tribunal de Sidi M’hamed pour être présenté devant le procureur de la République.
Mais il n’a pas tardé à ressortir libre du bureau du magistrat qui n’a donc retenu aucune charge contre lui. Grâce aux déclarations qu’il a faites devant la presse, ainsi que celles de ses avocats, on en sait plus sur cette affaire.
El Kadi Ihsane a bien été convoqué pour son travail de journaliste, précisément pour un article qu’il a publié récemment sur Radio M. « Il n’y avait que ces questions-là, des questions qui portent sur l’exercice de ma profession et des questions portées sur mon article », a déclaré le concerné dans le hall du tribunal d’Alger.
« Je me suis tenu à ma décision initiale »
Comme il l’avait promis dans une vidéo postée dans la matinée, il n’a pas répondu aux questions des gendarmes.
« Je me suis tenu à ma décision initiale, à savoir refuser de parler devant la police judiciaire de mon travail. Je ne l’ai jamais fait. En 39 ans d’exercice, il n’y a aucun officier de police judiciaire avec qui j’ai échangé sur les contenus, et ce n’est pas à mon âge que je vais commencer. Donc j’ai refusé de répondre à toutes les questions (…) J’ai poursuivi la même démarche chez M. le procureur, parce qu’il aurait dû me convoquer directement, mais il m’a fait passer par la gendarmerie. Je lui ai fait cette remarque et j’ai refusé de répondre à ses questions », a-t-il ajouté. L’article en question n’a pas été précisé.
Concernant la partie qui a actionné la plainte, Me Nabila Smaïl, membre du collectif de défense du journaliste, l’identifie formellement. Il s’agit du ministère de la Communication.
« Nous n’avons aucun détail sur le dossier. Ihsane El Kadi nous a dit que toutes les questions tournaient autour de son article, l’auteur de la plainte est le représentant du ministère de la Communication. Ce ministre de la communication veut faire comme si l’Algérie lui appartient, nous lui disons que nous n’allons pas nous arrêter », lâche-t-elle.
Dans sa vidéo de la matinée, le journaliste avait déjà pointé du doigt la même partie. « Les choses commencent à s’éclaircir, c’est le ministère de la Communication qui est derrière ces entraves, y compris ma convocation aujourd’hui », avait-il accusé.
Pour Me Smaïl, Ihsane El Kadi « a le droit de déposer plainte contre ceux qui l’ont convoqué pour son travail de journaliste, y compris contre le ministre de la Communication », car, poursuit-elle, « la Constitution a consacré la liberté de la presse et décriminalisé le délit de presse (…) Même le procureur a refusé de l’entendre parce que c’est un délit de presse, or, il n’y a pas de délit de presse dans la loi ».
« Une époque qu’on croyait révolue »
L’avocate n’en revient pas. « C’est une dérive de trop, un dérapage plus dangereux que les précédents (…) On ne peut pas convoquer un journaliste à Bab J’did pour l’interroger sur son travail, le présenter devant un procureur pour qu’il lui dise, il n’y a aucune procédure. C’est quoi ça ? Ça ne s’est passé nulle part. Où est la loi, la procédure, les droits de l’Homme, la dignité humaine ? C’est trop, c’est un abus de trop devant lequel nous n’allons pas nous taire », dénonce-t-elle, avant de fustiger « le comportement d’une personne qui utilise son poste au sein de l’État, au sein du gouvernement pour étouffer la presse libre ».
Pour elle, l’objectif derrière tout cela est de « museler toutes les voix libres ». « Nous n’avons pas de presse libre, nous avons quelques journalistes qui essaient de faire leur travail dans des conditions de guerre psychologique contre les hommes libres », souligne-t-elle.
« Ce sont les pratiques des forces extraconstitutionnelles »
Me Zahi Saïd abonde dans le même sens et dénonce un « retour à une époque qu’on croyait révolue ». « Ce sont les pratiques des forces extraconstitutionnelles, nous ne savons pas qui est derrière ces actes. 20 millions d’Algériens sont sortis dans la rue contre ces pratiques. C’est une manière de faire pression sur les journalistes pour les faire taire », dit-il.
Lui aussi, il rappelle que la nouvelle constitution est claire en matière de garantie de la liberté de la presse. « Il est inacceptable de convoquer un journaliste à Bab J’did, le présenter devant la justice puis lui demander de s’en aller. Ce n’est pas un comportement de représentants de l’État. Celui qui représente l’État doit d’abord respecter sa Constitution. Il faut sanctionner tout responsable qui agit en dehors de la Constitution et de la loi. Personne ne représente l’État en dehors de la loi », tonne l’avocat.