CONTRIBUTION. Il est un peu facile de mettre sur le compte d’un délire personnel ou d’une folie passagère l’appel de Ferhat Mehenni à la constitution de « forces de contraintes », un euphémisme pour désigner ni plus ni moins la constitution de milices politiques, probablement inspirées du modèle des « chemises noires » de l’Italie mussolinienne.
En focalisant sur l’homme, son égo surdimensionné , ses supposées déceptions et autres frustrations passées, on passe sous silence la redoutable mécanique à l’origine du franchissement du Rubicon.
Certains de ses anciens compagnons n’hésitent pas aujourd’hui à parler de « grave précédent », tout en exprimant une indignation mêlée de stupéfaction. Aussi tentent-ils de scruter, pour le débusquer, l’entourage toxique du « Président auto-désigné » espérant ainsi ramener l’égaré à la « raison ». Un peu à la manière des « 14 », d’une Louisa Hanoune ou encore de la journaliste bruxelloise accusant la « fratrie » d’exploiter la « maladie » de Bouteflika.
Des Arouchs au GPK
Pourtant, à l’encontre de ses compagnons de route , qui peinent à se défaire de l’image jadis glorieuse du « maquisard de la chanson », l' »appel de Londres » n’est ni une séquence isolée ni un moment d’égarement, mais l’aboutissement, inéluctable, d’une trajectoire politique engagée dès le « printemps noir » de 2001.
D’une certaine façon, le MAK puis le GPK ne sont que la continuation par d’autres moyens des « Arouchs », ce « Daech ethnique » conçu in vitro dans les laboratoires du régime pour dévoyer une colère légitime et dont la feuille de route n’était autre que l’anéantissement du potentiel politique de la Kabylie.
En effet, la volonté du régime de tourner avec l’avènement de Bouteflika la page de la « décennie noire » pour mettre à l’abri des poursuites les responsables soupçonnés, dans le cadre de la lutte anti-terroriste, de violations massives des droits de l’Homme, supposait la mise au pas d’une région réfractaire à une « concorde civile » puis à une « réconciliation nationale » qui ont consacré l’impunité.
De l’autonomie à l’indépendance, le pas est vite franchi
L’irruption de la revendication autonomiste, avec la bienveillance du pouvoir , a incontestablement séduit une partie de la jeunesse, profondément marquée par l’assassinat de 26 d’entre elles, crime demeuré à ce jour impuni, et par les impasses du mouvement démocratique.
Le désespoir et la colère ont été largement exploités par des agitateurs locaux en mal d’audience pour tenter de tuer en elle l’espoir d’une Algérie démocratique et réconciliée.
Séduisant intellectuellement, vrai exutoire politique, le concept d’autonomie prend une toute autre dimension une fois mis à l’épreuve du bourbier politique national. Dans un environnement national institutionnel en déliquescence, face à une autorité politique en déficit de légitimité, prompt à déployer un impressionnant dispositif policier au moindre éternuement populaire, la frontière entre autonomie et indépendance tend à s’effacer progressivement. Dans un contexte de dépolitisation, où dominent les passions et les réflexes grégaires, le basculement de la revendication d’autonomie dans des velléités séparatistes devient quasi mécanique.
La passivité voire la connivence des « élites kabyles » n’est pas en reste. La disparition de Hocine Ait Ahmed a fait ouvrir la boite de Pandore d’où se sont échappés des individus et des groupes animés par un sentiment de revanche et peu soucieux des conséquences fâcheuses de leurs actes. Par calcul politicien, portées par d’aveuglantes ambitions, ces « élites » autoproclamées, certaines au nom de la légitimité historique acquise en avril 80, s’octroyant le droit de préempter les luttes démocratiques, ne peuvent aujourd’hui échapper à la responsabilité qui est la leur dans les dérives « du meilleur d’entre-eux ».
Un préalable : réhabiliter l’État national
Il est évidemment hors de question de clouer au pilori tous celles et ceux qui partant d’une critique radicale de l’architecture intentionnelle héritée à l’indépendance proposent une réforme en profondeur. Il convient, à ce propos, de rappeler que le modèle jacobin français a largement influencé les leaders révolutionnaires algériens. C’est d’ailleurs au nom des valeurs et principes de la révolution de 1789 qu’ils ont combattu le colonialisme. Ce modèle hyper-centralisé, qui laisse peu ou pas d’espaces à l’expression des particularismes régionaux et locaux, apparait en totale déphasage avec les réalités sociologique et culturelles algériennes.
Mais faut-il pour autant appeler à faire table rase ou à s’entêter à soulever des problématiques, certes légitimes, quand tout un chacun reconnait qu’elles ne sauraient être solutionnées dans le cadre d’institutions nationales inefficientes et discréditées?
L’éthique de responsabilité commande également de ne pas dresser un voile devant les logiques déstabilisatrices que libèrent les stratégies de reconfigurations géopolitiques et stratégiques exécutées par les puissances occidentales pour s’emparer des ressources naturelles et contrôler les voies maritimes.
Et ce n’est en rien céder à l’alarmisme, ou une quelconque surenchère patriotique que de mettre en garde contre les périls qui menacent un pays comme l’Algérie fragilisé par un régime autoritaire et corrompu.
C’est pourquoi, il est vitale, aujourd’hui plus qu’hier, de faire preuve de discernement et de vigilance.
Sanctuariser notre pays, ce n’est pas en aucun cas renoncer à ses convictions mais rendre possible, demain, un changement démocratique pacifique qui préserve notre indépendance et qui permet d’exprimer les différences sans que cela porte atteinte à la cohésion nationale.
Alors, plutôt que de nous convier à un « débat pluriel » Kabylo-kabyle, il serait primordial d’agir pour la mobilisation des forces patriotiques, au sein de la société et de l’armée, pour stopper un engrenage aggravé par une guerre ouverte pour la succession.
Réhabiliter l’Etat, passé sous les fourches caudines des groupes informels et prédateurs et le restituer à la Nation, voila la priorité des priorités.
*Samir Bouakouir est ancien cadre du FFS