Dans une résolution datée du 12 décembre dernier, le Conseil des participations de l’État (CPE) s’est alarmé du niveau d’endettement des entreprises détenues par l’État. Le CPE, qui est présidé par le premier ministre Ahmed Ouyahia, pointe une “situation préoccupante” de l’endettement des entreprises à capitaux publics, dont le montant n’a pas été précisé. Une situation qui risque d’« impacter négativement » les ressources du Trésor public.
Pour réduire cet endettement, le CPE recommande la mise en place de “mesures d’urgence et un suivi permanent des départements ministériels de supervision concernés”.
Il charge les départements ministériels de “faire de la gestion de l’endettement des EPE une priorité absolue pour les gestionnaires des groupes et des entreprises concernées”. Le CPE demande aussi de mettre en place, “sous l’autorité du ministre, un dispositif de suivi mensuel de cet endettement et sa réduction”.
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Inquiétudes sur la dette de l’Etat
La vigueur de la réaction du CPE, marquée du sceau de l’« urgence », suggère que les aides apportées aux entreprises publiques par l’Etat actionnaire semblent avoir atteint dans une période récente des niveaux records, gonflant rapidement, par la même occasion, la dette de l’Etat.
C’est d’ailleurs ce qu’indiquait récemment un rapport du Fonds monétaire international. Au total, selon le FMI, la dette publique était proche de 50% du PIB à fin 2017 contre seulement 40% fin 2016. On ne connait pas le niveau de la dette de l’Etat à fin 2018 mais la réaction du gouvernement donne certainement une indication sur une augmentation qui se poursuit à un rythme rapide et inquiétant.
La mécanique en est relativement simple mais elle est redoutable. Dans une première étape elle se traduit par des « crédits garantis » en faveur des entreprises publiques imposés aux banques contrôlées par l’Etat. Ces crédits sont en augmentation constante : ils ont atteint, à eux seuls, 21% du PIB à fin 2017 selon des estimations du FMI, rendues publiques au cours de l’été dernier.
Ces crédits sont ensuite rachetés aux banques par l’Etat. Entre 2009 et 2016, ce sont ainsi plus de 1900 milliards de dinars (environ 16 milliards de dollars) correspondant à des opérations réalisées par l’Etat pour venir en aide à des entreprises publiques qui se sont accumulés et ont fait décoller le montant de la dette interne.
Selon le FMI, à fin 2017, la dette des entreprises publiques représentait plus de la moitié (54%) de la dette de l’Etat contre environ 30% pour le financement du déficit budgétaire, le reste étant dû à l’emprunt pour la croissance lancé en 2016.
Quand la dette de Sonelgaz plombe la BNA
Le cas de Sonelgaz est emblématique et permet de comprendre l’importance particulière prise récemment par la « restructuration » de la dette des entreprises publiques dans la dette de l’Etat.
Le PDG de l’entreprise, Mohamed Arkab, a indiqué récemment que la dette de Sonelgaz vis-à-vis des banques algériennes a atteint le montant considérable de 1400 milliards de dinars (environ 12 milliards de dollars) à fin 2017. « Sonelgaz bénéficie de la garantie et de l’appui de l’État pour ses crédits à long terme et à des conditions très favorables pour financer ses investissements », a-t-il précisé, ajoutant qu’un montant de 300 milliards de dinars de crédits lui avait été accordé rien que pour l’année 2017.
Ces dettes contractées par Sonelgaz, que l’entreprise est bien incapable de rembourser en raison notamment du blocage administratif de ses tarifs, constituent aujourd’hui un « sujet de préoccupation » majeur pour une grande partie du secteur bancaire algérien. Elles sont régulièrement rachetées par l’Etat dans le but de soulager les banques publiques qui pour certaines d’entre elles croulent sous ce fardeau. La dernière opération en date a été réalisée en 2017 et a permis selon les propos tenus par le premier ministre Ahmed Ouyahia, de « sauver la BNA ».
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Les causes de l’endettement des entreprises publiques
Sonelgaz est loin d’être seule dans cette situation qui concerne particulièrement – mais pas exclusivement – les grandes entreprises de réseau spécialisées dans le service public. On peut également citer Algérie Télécom, la SNTF ou les sociétés de distribution de l’eau, dont les tarifs sont maintenus à des niveaux inférieurs aux coûts des opérations, depuis plus d’une décennie, pour des considérations sociales.
Les causes du gonflement de l’endettement des entreprises publiques sont sans aucun doute à rechercher d’abord dans l’importance de leurs programmes d’investissement. On sait que pour Sonelgaz, il a dépassé en moyenne au cours des dernières années le montant annuel de 3 milliards de dollars.
Dans le cas d’Algérie Télécom , Houda Imane Feraoun, ministre des PTIC, a évoqué cette semaine le chiffre de 300 milliards de dinars d’investissements réalisés entre 2014 et 2018 et de nouveau 190 milliards prévus pour 2019. Les investissements réalisés par la SNTF et les sociétés de distribution des eaux sont également d’un montant considérable.
Les charges liées aux investissements des entreprises publiques ne sont cependant pas seules en cause et beaucoup d’autres facteurs notamment ceux qui sont associés aux sureffectifs et à l’importance des charges salariales ont été évoqués régulièrement au cours des dernières années.
Ces entreprises souffrent également de sérieux problèmes de management, avec par exemple dans le cas d’Algérie Télécom une instabilité managériale, associée à l’interventionnisme permanent des ministres du secteur, qui empêche toute mise en place d’un plan de développement sérieux.
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Un chantier de longue haleine
Les invitations toutes fraîches du CPE à « faire de la gestion de l’endettement des EPE une priorité absolue pour les gestionnaires des groupes et des entreprises concernées » constituent certainement une indication claire que, dans beaucoup de secteurs, le soutien financier n’est plus soutenable pour l’Etat au plan budgétaire.
Comment sortir de cette situation ? Les « comités de suivi » de la dette des entreprises publiques, dont le CPE réclame la création, ne peuvent certainement constituer qu’une réponse administrative à un problème économique sérieux et de grande ampleur.
Dans une publication récente, le Groupe Nabni livrait quelques pistes pour un chantier qui s’annonce de très longue haleine. Il recommandait d’abord de « revoir à la baisse les plans d’investissement des opérateurs pour les adapter aux besoins réels ou trouver des alternatives pour le financement, hors budget, de maintenance de leur investissement ». Autre recommandation : « Augmenter les tarifs pour couvrir, graduellement, les coûts de fourniture des services selon un programme de rééquilibrage tarifaire sur plusieurs années ».
Plus généralement le think tank algérien préconisait de « refondre la gouvernance des secteurs en redéfinissant les missions des entreprises qui doivent être maîtresses de leurs opérations économiques (choix d’investissements, propositions tarifaires, dimensionnement de réseau, rémunération salariale, choix des fournisseurs et négociation) et des plans de financement (financement bancaire, obligataire, appel à l’actionnariat) afin d’améliorer l’efficacité économique et concurrentielle de leur société, mais aussi la responsabilisation des managers ».
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