L’Algérie revient sur la scène internationale grâce à ses potentialités dans le domaine de l’énergie. Le pays et sa production de gaz naturel suscitent de l’intérêt en plein cœur d’une crise énergétique qui paralyse l’Europe. Le gouvernement algérien semble ne pas vouloir passer à côté de cette opportunité pour relancer l’économie du pays.
Le malheur européen se transforme en aubaine pour l’Algérie. Le pays aurait tort de se priver de ce potentiel. Toutefois encore une fois, ce coup de projecteur n’est pas utilisé pour mettre en avant les autres potentialités de l’Algérie.
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Il est question de se concentrer sur les mêmes ressources, sans jeter un œil à d’autres secteurs tels que le tourisme, l’agriculture ou la force de la jeunesse algérienne qui pourraient être des forces économiques inépuisables.
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Autre atout négligé : la diaspora algérienne. On l’évalue à plusieurs millions de personnes dans le monde. La France à elle seule, pourrait abriter environ 2,6 millions d’Algériens. On estime une centaine de milliers de personnes ayant la nationalité algérienne en Amérique du Nord. Quelques poignées dans le reste de l’Europe. Les chiffres n’ont jamais réellement été actualisés et sont dans le flou. Tout comme le rôle d’une communauté algérienne de l’étranger finalement.
La diaspora algérienne visible par intermittence
Durant la visite d’amitié d’Emmanuel Macron en Algérie (25-27 août), des visages de la diaspora étaient en première ligne. Monde de l’entrepreneuriat, acteurs politiques, artistes, personnalités des médias…ceux que l’on nomme aussi binationaux étaient les ambassadeurs d’une double culture où se mélangent fierté algérienne et parcours de vie français. Macron veut s’appuyer sur la diaspora pour « bâtir des ponts durables » entre l’Algérie et la France, selon son entourage.
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Il faut dire que les Algériens représentent une part importante de l’immigration en France. En 2021, les immigrés nés en Algérie représentaient 12,7 % de l’immigration en France, la plus grande part.
Le président français a utilisé cette communauté comme passeport d’entrée pour son voyage en Algérie. Une diplomatie agile pour créer un lien entre les deux sociétés qui cherchent à se réconcilier. Preuve qu’elle représente une force.
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En France, il n’est pas difficile de trouver des profils de personnes accomplies et d’origine algérienne. Des multi-diplômés aux têtes pensantes. Des créatifs, des artistes, des sportifs, des économistes, des innovateurs. Avec une telle immigration la France a eu la chance de voir des talents algériens grandir sur sa terre.
En novembre 2021, le premier ministre, Aïmene Benabderrahmane, soulignait que “le développement qu’a connu notre communauté à l’étranger, au cours des dernières décennies, lui permet d’apporter une contribution qualitative et importante à l’amélioration du niveau de développement de notre pays, à travers des investissements à forte valeur ajoutée”.
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En 2021, la diaspora algérienne a enfin été perçue comme une force qu’il était temps d’impliquer dans le développement de l’Algérie. Un plan d’action “Stratégie du gouvernement en direction de la communauté nationale à l’étranger” a même été pensé.
“Des mesures concrètes et opérationnelles, telles que l’incitation de nos compatriotes à investir dans des projets économiques, les impliquer dans la stratégie de promotion des exportations hors-hydrocarbures, de drainer leur épargne par l’ouverture de banque et de succursales et l’encadrement des milliers de commerçants et hommes d’affaires expatriés”, prévoyait le plan stratégique.
Le plan stratégique en faveur de la communauté algérienne de l’étranger prévoit aussi des guichets uniques et décentralisés qui accompagneraient les investisseurs, entrepreneurs ou startuppeurs dans leurs projets de développement en Algérie.
Plus récemment, le gouvernement a étudié la possibilité de changer les conditions d’affiliation au régime national de retraite pour les Algériens de l’étranger. Un autre moyen d’attirer les fonds de la diaspora.
Ce mardi, le ministère de l’Enseignement supérieur a lancé un appel aux compétences algériennes basées à l’étranger, et qui se trouveraient en Algérie du 25 au 28 décembre prochain, afin de donner des sessions de formation aux jeunes chercheurs locaux.
Des pas sont faits timidement pour valoriser l’apport de la diaspora.
Malgré ce regain d’intérêt des autorités, le sentiment que les Algériens de l’étranger ne sont considérés qu’en cas d’urgence ou de besoin politique persiste au sein de la diaspora.
Les capacités de la diaspora dévoilées à chaque crise
La diaspora algérienne a pourtant envie de s’impliquer dans le développement de l’Algérie. Pas besoin de promesses de retour sur investissement, la seule reconnaissance de leur appartenance à cette culture algérienne leur suffirait.
Les deux dernières années ont montré une détermination sans limite d’une diaspora qui est prête à utiliser son patrimoine, ses savoirs et son pouvoir d’achat pour faire avancer l’Algérie.
La pandémie a été un très bel exemple. En très peu de temps, la diaspora algérienne est parvenue à mobiliser des médicaments et des concentrateurs d’oxygène et à les envoyer vers l’Algérie, dont les frontières étaient fermées, pour les patients atteints du covid-19.
De même, pour les incendies de l’été 2021, comme ceux de cette année. Les associations comme les particuliers d’origine algérienne, mobilisent un soutien conséquent pour venir en aide aux victimes des incendies et à leurs familles.
Pas de facilité, pas de reconnaissance, la diaspora déchante
Les mesures en faveur de la diaspora algérienne arrivent au compte-goutte. En face, la diaspora ne se sent pas assez soutenue et pas assez la bienvenue. Une administration trop compliquée, une culture proche mais aussi très éloignée de la leur, un manque de réseau professionnel, sont autant de contraintes qui freinent les Algériens de l’étranger dans leur envie de s’investir dans leur deuxième pays.
“J’avais un projet entrepreneurial autour de la formation professionnelle. Mais la réglementation m’a clairement fait fuir. J’ai passé une année à essayer de me renseigner pour ouvrir un centre de formation, rien n’était clair. Ça m’a clairement effrayé”, explique Imane, une franco-algérienne de 35 ans.
“J’ai tenté ma chance autour de l’artisanat algérien. Je voulais faire la promotion des arts et savoir-faire algériens comme le font certains de mes amis marocains et tunisiens avec leur pays. Je me disais que l’Algérie avait également cette capacité. J’avais trouvé le concept, le nom de la marque et même des investisseurs au sein de la communauté franco-algérienne. Mais la pandémie et la fermeture des frontières ont tout freiné. J’ai tout mis sur pause et maintenant j’avoue avoir peur que ça se reproduise, que l’Algérie se ferme à nouveau”, raconte Fadela, une cadre de 40 ans basée à Paris.
Même l’été dernier et l’urgence représentée par la crise sanitaire ou encore les incendies a donné une leçon amère aux binationaux.
“J’ai commandé trois concentrateurs d’oxygène pour soutenir les hôpitaux. Beaucoup de membres de ma famille ont contracté une forme grave de covid, alors ça m’a marqué. Durant plus d’un mois j’ai cherché une solution pour les envoyer. Un don aussi indispensable à cette période est devenu un casse-tête administratif. J’ai mis deux mois à les envoyer, combien de personnes auraient pu être sauvées pendant cette période ?”, regrette Salim, un franco-algérien de 45 ans.
Les autres pays misent sur leur diaspora
Il est difficile de comprendre pourquoi l’Algérie ne s’intéresse pas davantage à sa diaspora. Le pays entend recevoir une aide ponctuelle. Comme l’entrée de devises durant les étés qui représente une manne intéressante pour l’économie algérienne qui en a tant besoin, ces dernières années, avec les fluctuations des prix du pétrole, sa principale source en monnaies fortes.
Aïmene Benabderrahmane regrettait d’ailleurs le faible niveau de transferts de devises de la part des Algériens de l’étranger. 1,7 milliard d’euros en 2020, d’après la Banque mondiale. “Ce montant ne reflète pas pleinement les capacités de notre communauté nationale à l’étranger, compte tenu notamment de son nombre et de son poids économique”, estimait alors Aïmene Benabderrahmane en 2021.
Le recul de l’envoi des devises était lié à la fermeture des frontières algériennes et le manque de vols vers l’Algérie, empêchant les Algériens de l’étranger de venir dans leur pays, y compris leurs devises. Il est compliqué de passer par le système bancaire, qui limite les fonds envoyés vers l’Algérie et propose des délais trop longs pour la réception des fonds.
L’existence d’un marché noir des devises et l’écart important entre le taux officiel et le taux parallèle du dollar et de l’euro n’incitent pas les Algériens de l’étranger, ni même les touristes, à passer par les banques pour envoyer des devises en Algérie.
Les soutiens apportés de manière informelle sont également, peut-on dire “tolérés”, mais une réelle politique intégrant les Algériens qui ont immigré ou leurs enfants n’est pas une priorité. Pourquoi ne pas se projeter plus loin que de simples devises à faire entrer à tout prix sur le territoire algérien ?
D’autres pays le font volontiers avec leurs communautés à l’étranger. Le Maroc tente une politique dans ce sens. Par exemple, il existe une structure officielle pour représenter la diaspora marocaine.
Il s’agit du Conseil de la Communauté marocaine à l’étranger fondé en 2007. Le pays tente de changer ses structures pour accueillir les investissements de ses compatriotes de l’étranger. À titre d’exemple, d’après un rapport du cabinet de conseil McKinsey, le Maroc est l’un des pays africains qui offrent le plus d’opportunités dans le domaine de la Fintech (les technologies offrant des services financiers). Le pays tente de mettre en place un système plus adapté à la réception de fonds dématérialisés pour réduire ceux en espèces.
Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne reçoivent des fonds considérables de la part des diasporas de chaque pays. En 2019, la diaspora africaine est devenue la principale source de financement du continent. Les transferts d’argent informels entre familles ont dépassé les investissements et les fonds d’aide au développement. En 2021, 54 milliards de dollars ont été envoyés vers le continent. Un chiffre en perpétuel croissance.
Au-delà de l’apport purement économique des diasporas, il faut également voir l’énergie qu’elles peuvent représenter. On a pu voir le rôle quasi diplomatique qu’a pu endosser la diaspora algérienne lors du voyage d’amitié d’Emmanuel Macron.
Mais il est aussi indispensable de souligner les apports d’expériences que ces Algériens qui ont vécu aux quatre coins du monde peuvent apporter. Ils sont aussi des ambassadeurs des valeurs et de la culture algérienne.
Tel un Mohamed Cheikh, chef cuisinier star de la télé française, qui pour son premier restaurant éphémère au cœur du mythique Jardin des Plantes parisien sublime la cuisine de sa grand-mère algérienne.
Un DJ Snake, qui a remis la musique algérienne sur le toit du monde. Une Zineb Sedira, qui expose dans les galeries les plus prestigieuses de Londres des photographies de la mémoire algérienne.
Un Zinedine Zidane, grande star en tant que footballeur, puis en tant qu’entraîneur du Real Madrid, l’un des plus prestigieux clubs au monde. Un Karim Benzema qui collectionne les trophées et qui montre l’immense apport de l’imigration algérienne à la France dans le football.
Il suffit aussi de regarder l’apport des binationaux algériens au football algériens. Les Riyad Mahrez, Ismaël Bennacer, Djamel Belmadi, Adlène Guediouara, Ramiz Zerrouki, Raïs M’bolhi ou encore Aissa Mandi, pour ne citer que ceux-là, ont remis le football sur le toit de l’Afrique et montré à quel point la diaspora algérienne peut aider le pays, avec ses compétences.
La force de la diaspora n’est plus négligeable. Sans soutien de l’Algérie, elle est déjà capable de projets grandioses mettant en valeur leur héritage algérien. Qu’en serait-il, si l’on misait réellement dessus ?
« La diaspora franco-algérienne est le socle de la mixité franco-maghrébine », a résumé l’industriel franco-algérien Yazid Sabeg dans un entretien au Télégramme publié lundi. Pour lui, il est temps de l’évaluer et de l’exploiter par les deux pays.