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La filière laitière en Algérie entre le marteau de la poudre de lait et l’enclume des subventions

La filière laitière en Algérie entre le marteau de la poudre de lait et l’enclume des subventions

Le nouveau ministre du Commerce vient de récidiver en créant une nouvelle polémique avec l’affaire d’Elmaraï. Cette entreprise qui connait de grandes difficultés depuis l’année dernière est présentée comme la solution à la crise du lait que connait notre pays. Par ailleurs, la médiatisation de la fermeture de l’Unité de Danone-Djurdjura sise à Blida sonne comme une bizarrerie qui a tout d’une mauvaise coïncidence.

Malheureusement, ce mode de gestion par déclarations semble l’apanage de nos ministres. Déjà, en 2007, le ministre de l’Agriculture de l’époque Saïd Barkat, annonçait avec l’aplomb qu’on connait à ceux qui sont dans le camp fort du moment : « L’Algérie couvrira entièrement ses besoins en matière de lait dans une année ». Selon lui, la production laitière qui était de 2 milliards de litres en 2006, devait bondir à 3 milliards en 2007. (El Watan du 07 – 05 – 2007).

Cinq années plus tard, le 02 août 2012, Le directeur général de l’Office national interprofessionnel du lait (ONIL) estimait que l’approvisionnement du marché national en poudre de lait était suffisant et qu’il réfutait toute « rumeur » qui parle de crise ou de pénurie de lait en sachet subventionné à 25 DA. Il avait cependant trouvé l’euphémisme qu’il fallait pour expliquer la non-disponibilité du précieux liquide en déclarant : « Des dysfonctionnements sont apparus ces derniers jours sur le marché suite au changement des horaires de livraison ».

En 2014, l’Algérie avait de nouveau recours à l’importation pour juguler la crise qui s’est installée dans le secteur du lait en sachet et qui empoisonnait la vie du citoyen. Depuis des années, L’Etat consacre annuellement environ 50 milliards de DA pour la filière du lait. Que de solutions de replâtrage.

En 2020, la production laitière en Algérie préoccupe toujours. L’autosuffisance n’étant toujours pas assurée, la disponibilité du lait en Algérie est encore très dépendante du marché… du pétrole oubliant que le lait provient d’un pis et non pas d’un puits.

La vache se nourrit d’herbe et l’herbe a besoin d’eau d’où l’amont bioclimatique. Les étages bioclimatiques per-humide, humide et sub-humide qui ont une pluviosité annuelle de 1800 à 900 mm ne représentent que 1,82 % de la superficie totale d’Algérie. L’étage saharien qui reçoit moins de 100 mm/an de pluviométrie en représente 89.5%.

Le lait est aussi une question de nombre de pis disponibles. La filière bovins algérienne compte quelque 40 000 éleveurs avec environ 1 000 000 de vaches laitières dont 300 000 sont des bovins laitiers modernes (BLM) importés avec une productivité moyenne de 15 L/vache pour les BLM, soit une production annuelle de 2,5 milliards de lait/an dont 700 à 900 millions sont collectés. Comme les besoins annuels de l’Algérie sont estimés à 4 à 4,5 milliards de litres, il y a donc un déficit de près de 2 milliards de litres/an. Ce déficit est comblé par les importations de poudre de lait.

En 2017, le quotidien Liberté rapportait une information selon laquelle sur 800 000 vaches importées, 600 000 ont été abattues et ce en l’espace de 5 années (Liberté, édition du 14-05-2017).

Le marteau de la poudre de lait

« Le marché de la poudre de lait écrémé, matière clé pour l’Europe, est en panne. La faute revient au cours du pétrole. Le manque à gagner chez les principaux clients comme l’Algérie et l’Arabie saoudite se ressent dans les commandes en forte baisse. Ceci est le point de vue européen. L’Europe a en effet exporté en 2016 1,2 MDS L d’équivalent lait en moins qu’en 2015 pour la seule poudre de lait écrémé. Après un record des importations de 1,91 milliard USD en 2014. L’Algérie avait, en 2016, ralenti ses importations de poudres (727,31 USD), soit -25% pour la PDL écrémé et -8,5 % pour la PDL entier ce qui a créé une situation négative pour les exportateurs de l’Union européenne, premier fournisseur du marché algérien, A ce jour, les poudres de lait constituent à elles seules plus de 20% des importations alimentaires totales du pays.

L’ONIL dont l’une de ses missions est le développement de la filière lait locale ne s’inquiète en réalité que de la disponibilité du lait pasteurisé conditionné (LPC). En effet, l’ONIL importe 50% (des quelques 350.000 tonnes) de poudre de lait importées annuellement par l’Algérie qu’il redistribue aux laiteries sous forme de quotas subventionnés pour produire du lait pasteurisé conditionné en sachet vendu au prix administré de 25 DA/litre. Seulement, avec ce produit subventionné, certains acteurs fabriquent des produits dérivés (yaourt, raïb, L’ben, voire des fromages) dont la vente est beaucoup plus rentable.

La dernière déclaration émanant de l’ONIL est : « Le prix du lait pasteurisé en sachet ne connaîtra pas d’augmentation ». Je ne pense pas que les responsables de l’ONIL ne sont pas au courant que la majorité des laiteries qui ne traitent que le lait local en jettent régulièrement en raison, justement, de cette concurrence avec le lait en sachet.

Le lait local est aussi subventionné. La prime est passée de 12 DA à 14 DA/L en novembre 2015, auxquels s’ajoutent les 36 DA qui représentent le prix de cession du lait cru aux laiteries (au lieu de 34 DA auparavant). Ainsi, le prix du lait cru vendu par l’éleveur est passé de 46 à 50 DA/L.

200 milliards de dinars pour réorganiser le marché algérien du lait sur 5 ans (MADRP) dont 90% sont consacrés aux subventions du lait cru n’ont servi finalement qu’à générer des polémiques.

Aucune valorisation du lait cru ne sera possible sans les deux conditions suivantes :

1) Rapprocher les prix des deux types de lait (lait local et lait à base de poudre importée) jusqu’à ce que le citoyen puisse avoir le choix de prendre du lait local sans se sentir obligé de se nourrir au rabais. Ainsi, la part de poudre de lait sera réduite de manière quasi-automatique.

2) Aider les éleveurs à produire un lait de bonne qualité physico-chimique avec des taux butyreux et protéiques intéressants et un lait de bonne qualité bactériologique.

M. le ministre du Commerce doit savoir que le problème du lait en Algérie est avant tout de nature politique, sa solution se situe donc tout naturellement au niveau du sommet de la hiérarchie (la volonté du pouvoir réel). Une fois la décision stratégique relevant des décideurs prise, le reste est technique et opérationnel et relève des professionnels.

Évidemment, cela ne peut marcher que si toutes les parties prenantes (intéressées) trouvent leur compte.

*Une contribution de Boumediene MOUSSA-BOUDJEMAA, professeur d’hygiène et de technologie des aliments.


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