Il était d’abord pressenti comme le successeur à l’instar de Djamal Moubarak en Égypte ou de Seif-el-Islam Kadhafi en Libye. Mais le « printemps arabe » de 2011 a mis fin à ce projet d’héritage monarchique et le parti qui devait le lancer à la conquête de la présidence n’a jamais vu le jour.
Said Bouteflika ne sera finalement pas un président « élu » par les Algériens. Sa carrière s’est abîmée à l’âge de 61 ans, au fond d’une prison quelques jours après le 28 avril, date à laquelle son aîné devait entamer un 5e mandat et lui-même un deuxième comme « président de fait » et figure majeure de ce que Benflis a été le premier à désigner sous l’expression de forces extra-constitutionnelles. Saïd a chuté sous les assauts de celui qui a été pourtant le protecteur du 4e mandat et le défenseur le plus zélé du 5e.
Quand Abdelaziz Bouteflika s’est fait offrir le palais d’El Mouradia par un groupe de généraux qui ne comptait pas encore Ahmed-Gaid Salah, il a emporté dans ses bagages toute sa fratrie.
L’ancien chef de la diplomatie, écarté 20 ans auparavant au profit de Chadli Bendjedid, possède un sens aiguisé de la méfiance. Il a préféré s’entourer de ses proches. Saïd, professeur à l’université de Bab Ezzouar où il était adhérent au syndicat de l’enseignement supérieur, a hérité d’un poste de conseiller spécial et nommé par un décret non publiable.
À l’université, Said Bouteflika, qui fut élève des Pères Blancs au collège et au lycée, n’a pas laissé le souvenir d’un enseignant flamboyant. Ses anciens étudiants se rappellent plus de son blouson en cuir qu’il gardait toute l’année que de ses fulgurances intellectuelles.
Comme syndicaliste, il n’était pas en première ligne et n’a pas également laissé le souvenir d’un orateur comparable à son aîné. « Il faisait du travail de coulisses mais ne prenait pas la parole en public », se souvient un de ses anciens étudiants.
À Paris où il a effectué ses études, il « rasait les murs », se rappelle un ancien camarade. « Il avait tellement de retenue qu’il fallait le bousculer pour l’amener à se lâcher en groupe », ajoute ce camarade. Il avait la même discrétion quand il a effectué son service national à Mouilah, dans la wilaya de Djelfa, se souvient un autre camarade en rappelant que sa mère venait lui rendre visite.
Pendant le premier mandat de son frère, Saïd était très visible. Le président sevré de parole et de contact avec le public pendant 20 ans, multipliait les déplacements à l’intérieur du pays et à l’étranger. C’était le temps où l’on disait de lui qu’il habitait à la télévision ou dans un avion. Saïd était de tous les déplacements. C’était l’ombre du président auquel il a suggéré des noms de ministres parmi ses connaissances universitaires.
Le deuxième mandat est acquis dans des conditions difficiles en raison d’une opposition du général Mohamed Lamari qui a failli renverser les urnes. Mais le général Toufik, patron de la police politique, a volé au secours. Lamari sera congédié et remplacé par Ahmed-Gaïd Salah. Fin 2005, le président tombe malade, victime d’une hémorragie intestinale qui le conduit à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris. Saïd est à son chevet en compagnie de l’autre frère Mustapha et du professeur Zitouni, tous logés à l’hôtel Meurice où les rejoindra le patient à sa sortie de l’hôpital.
Le président affaibli, son conseiller spécial prendra de plus en plus d’influence à mesure que l’âge ronge le corps du malade. Dans un rôle de grand chambellan, le cadet tisse ses réseaux dans les milieux des affaires et dans les partis. Pourtant, même « tab djnanou » (il a fait son temps) le chef de l’État refuse de lâcher et force le verrou constitutionnel qui interdit plus de deux mandats.
Avant la fin du 3e, il est frappé par un AVC qui le handicape lourdement. C’est la fin ? Pas du tout. L’ivresse du pouvoir s’est largement emparée de l’entourage qui se sucre généreusement aux revenus du pétrole.
Le président est réduit à un cadre sans pouvoir et sans « alacrité » comme a cru bon de nous le vendre François Hollande. C’est en fait le cadet qui s’empare des immenses prérogatives que le chef de l’État s’est octroyées par le biais d’une Constitution triturée au gré des ambitions.
Saïd Bouteflika a le pouvoir mais pas la responsabilité. Il dirige à son aise depuis un lieu informel, sans avoir à rendre de compte. Il nomme et dégomme aux postes qu’il veut. Il dirige les partis de l’Alliance par délégation à qui il veut. Le FLN passe de Saïdani puis à Ould Abbas et à Bouchareb sans autre forme que son humeur. Les visiteurs étrangers veulent le rencontrer mais il refuse de les recevoir pour entretenir une illusion de légalité.
Quand s’approche la fin du 4e mandat, il veut en obtenir la prolongation, plus conscient que quiconque de l’impossibilité du frère à se présenter sans violer la légalité. Le projet du cinquième est une tragi-comédie que le peuple, humilié et rabaissé, a refusé de laisser passer dans un sursaut de dignité. Il n’a peur ni des « BRI », ni de leurs « sa3iqa » (forces spéciales de l’armée).
Le mouvement populaire n’a pas été une vaguelette. Ni un coup de « rih fechbek » (vent dans le filet) décrit par le morveux Premier ministre. C’est une lame de fond à laquelle Said Bouteflika a voulu opposer un « état de siège », déroulant la scène d’une confrontation sanglante entre l’armée et le peuple.
Curieusement, le chef de l’état-major s’est révélé comme un obstacle à son projet. Il s’est rabiboché avec l’ami intime Toufik et a voulu mettre fin aux fonctions du patron de l’armée. Erreur fatale, celui-ci connait autant que le conseiller spécial l’incapacité de Bouteflika à signer quoi que ce soit. Il dévoile Said dans son rôle de chef de bande et le somme de restituer le sceau confisqué, sous peine de l’écraser. La famille abdique. Le clan se disloque. La fin est pitoyable. C’est la décadence sur laquelle s’est révélée enfin cette « Algérie fière et digne » promise il y a vingt ans.