CONTRIBUTION. Lourdement impliquée dans la genèse, le déclenchement et la perpétuation de la crise libyenne, la France se retrouve aujourd’hui face à ses contradictions et ses calculs égoïstes.
Les revers cuisants essuyés par les troupes du maréchal autoproclamé Haftar, (« homme fort » de la France) depuis l’intervention militaire turque, en appui aux forces du Gouvernement d’entente nationale, ont poussé Paris à lancer fébrilement et sous le sceau de l’urgence, une série de contacts avec ses partenaires régionaux pour plaider l’urgence de la cessation des hostilités.
Dans un remake du film, il faut sauver le soldat Ryan, la France qui attendait désespérément et depuis au moins 14 mois, « la victoire » de son poulain Haftar avec la prise tant rêvée de Tripoli (selon les propos du ministre Jean-Yves Le Drian), semble redécouvrir les vertus de la diplomatie et ce, pour « limiter les dégâts » en prévision de la reprise du processus politique qui sera abordé par le GNA en position de force en raison des importantes victoires militaires enregistrées en tripolitaine au cours de ces derniers jours.
Après avoir joué une partition hasardeuse dont la caractéristique principale a été la duplicité (depuis le temps où Le Drian, en tant que ministre de la Défense avait choisi délibérément de soutenir Haftar qu’il a réhabilité pour en faire « l’homme de la situation » qui allait lutter contre le terrorisme et pacifier le sud de la Libye, sanctuaire des terroristes qui « menacent les intérêts de la France et des pays amis de la France ») l’ambition solitaire de Paris se trouve désormais confrontée à une inversion profonde du rapport de forces sur le terrain dont découlent au moins trois conséquences :
D’abord, la France est reléguée dans la hiérarchie des puissances étrangères impliquées dans la crise libyenne, en raison de la prééminence du condominium russo-turc.
Ensuite, les défaites militaires du maréchal Haftar, ont ravivé les divisions internes au sein de son propre camp, puisque le président du parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, a lancé sa propre initiative politique préconisant la mise en place d’un conseil présidentiel restructuré et composé uniquement d’un président et de deux vice-présidents (représentant les 3 régions historiques de la Libye).
Enfin, le récent entretien téléphonique du secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, avec le Président du Conseil présidentiel libyen, Fayez al-Sarraj, semble acter le fait que Washington a décidé de tirer les enseignements des échecs militaires de Haftar et reconsidèrerait sa « neutralité bienveillante » à son égard. Le rapprochement du maréchal avec le Kremlin a accéléré cette prise de distance de Washington, qui redoute une présence durable de la Russie (bases) à la périphérie immédiate du flanc sud de l’OTAN.
Ce lâchage, prévisible du poulain de la France, est aussi visible du côté de ses protecteurs égyptiens, comme on a pu le constater lors du dernier séjour de Haftar au Caire où il n’a réussi à obtenir une audience avec le Président Sissi qu’après avoir accepté de cautionner l’initiative égyptienne prévoyant un cessez-le-feu à compter du lundi 8 juin, la mise sur pied d’un conseil élu, et la relance des négociations à Genève.
Obsédés par le renforcement de la présence militaire de la Turquie et de ses supplétifs « syriens » en Libye, les Égyptiens cherchent à reprendre l’initiative politique en relançant le projet du président du parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, tout en l’inscrivant dans la continuité des conclusions et recommandations de la conférence internationale de Berlin.
Totalement discrédité par ses revers cuisants, Haftar sera appelé à avaler sa fierté de militaire irascible et à cautionner cette nouvelle initiative qui pourrait constituer la base d’une solution politique consensuelle si, bien entendu, elle n’est pas assortie de conditions rédhibitoires.
Au cours d’un récent entretien téléphonique entre le Secrétaire d’État, Mike Pompeo et le prince héritier des Émirats arabes unis, Mohamed Ben Zayed -le plus acharné des soutiens de Haftar dans la soi-disant lutte contre les frères musulmans et contre la résurgence de l’Empire ottoman- les Américains essayent d’amener les EAU à reconsidérer leur position dogmatique en acceptant de s’ouvrir à d’autres alternatives susceptibles de relancer le processus politique et de contrecarrer, par la même, les plans respectifs de la Russie et de la Turquie ; ces dernières pourraient, d’ailleurs, être amenées à reproduire l’entente qu’ils ont pu cristalliser dans le cadre du processus d’Astana concernant la stabilisation de la Syrie ; L’initiative russo-turque visant la mise en place « d’une cessation illimitée des hostilités » en Libye qui avait échoué lors de la réunion de Moscou de janvier 2020 (en raison du refus de Haftar de signer l’accord) pourrait être relancée en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain et du degré de préservation des intérêts de chaque partie.
Il est intéressant de relever, à ce propos, que le vice-président du conseil, Fathi Bachagha, vient d’effectuer une visite à Moscou pour donner des assurances, sinon des gages, quant à l’avenir du partenariat « mutuellement bénéfique » entre son pays et la Russie.
Il faut dire que la Russie et la Turquie détiennent des cartes maitresses en raison de leur qualité, respectivement, de membre permanent du Conseil de Sécurité et de membre de L’OTAN. La première, ès qualités, pèsera jusqu’au bout sur la mise en œuvre de l’opération, IRINI, qui s’inscrit, selon ses initiateurs européens, dans le cadre de l’embargo onusien sur les livraisons d’armes en Libye. La seconde pourrait envisager d’activer l’article 4 du Traité de l’Atlantique Nord, si elle estime que sa sécurité est menacée (gesticulations égyptiennes en l’occurrence).
Une telle invocation des dispositions de cet article qui prévoit la tenue de consultations entre les alliés serait certainement appuyée par l’administration américaine qui ne cesse de dénoncer l’interférence agissante de la Russie dans le conflit libyen (déploiement présumé d’avions de chasse russes en Libye)
Craignant qu’Ankara et Moscou ne s’entendent « à leurs conditions » au détriment de la stabilité de la Libye, selon les termes du communiqué de l’Élysée du 3 juin 2020, Paris envisage de mettre à profit sa présidence du Conseil de Sécurité de l’ONU, durant ce mois de juin, pour réactiver le processus politique d’autant que le GNA et l’ « armée nationale libyenne » ont accepté de reprendre les pourparlers sur le cessez-le-feu et les arrangements de sécurité, au sein de la commission militaire mixte (5+5)
Une réunion de cet organe restreint est prévue le 9 juin en vue de déblayer le chemin à l’adoption résolution autorisant le déploiement de l’opération militaire de l’UE « Irini », et de faire progresser les discussions au sujet du remplacement du Représentant spécial du SG/ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, processus actuellement bloqué par les USA qui veulent confirmer leur ressortissante, Stephanie T. Williams, au poste de cheffe de la mission des Nations Unies pour la Libye avant d’accepter d’endosser une quelconque candidature au poste d’envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU (l’ancienne MAE du Ghana, Hanna Serwaa Tetteh est sur les rangs après que le lobbying toxique des Émirats, de l’Égypte et du Maroc eut torpillé le premier choix spontané porté par le secrétaire General, Antonio Guterres sur la personne distinguée du brillant diplomate, Ramtane Lamamra)
Il convient de relever, au passage, que la présidence française du Conseil de Sécurité qui active frénétiquement et déplore fortement le blocage de la désignation d’un représentant spécial en Libye, fait tout pour bloquer, en concertation avec son allié marocain, la désignation d’un nouvel émissaire pour le Sahara occidental en remplacement de l’ancien président allemand, Horst Kohler, démissionnaire depuis le 22 mai 2019 pour cause « d’absence d’unité au sein du Conseil de Sécurité (comprendre embûches semées par la France, entre autres spoilers).
*Slimane Hamzaoui, politologue.
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